Dossier de la Médiathèque : improvisation et contradictions

Alors que ces derniers jours, un certain nombre d’élus locaux, au premier rang desquels le maire de Rouen, s’agite sur les possibilités de reconversion de la Médiathèque en construction, je tiens, avec les membres du groupe Centre, démocrates et indépendants, à faire part de leur très grand étonnement. Les propositions successives de reconversion du bâtiment publiées les 8 et 9 juillet par la presse locale témoignent de la gestion chaotique de ce dossier. D’une part, ni le droit, ni la démocratie locale ne s’y retrouvent (les élus ont-ils été saisis de ces dernières orientations ? les rouennais ont-ils été consultés ainsi que les habitants du quartier de Grammont ?). D’autre part, la question de savoir s’il faut ou non une Médiathèque à Rouen et le débat sur l’accès au livre et à la lecture sont complètement éludés.

Semble donc acté que Rouen serait une des seules villes de France à ne pas avoir besoin d’une Médiathèque. Je pense, comme ancienne adjointe à la culture et membre de la Commission des affaires culturelles du Sénat, au contraire qu’il serait inconséquent que Rouen renonce à ce projet  d’une Médiathèque, outil central d’une politique du livre et de la lecture dynamique. Je réaffirme que ce projet élaboré en concertation avec les services déconcentrés du Ministère de la Culture, qui a fait l’objet d’un travail de sept années, est aujourd’hui indispensable.

En premier lieu, le bâtiment actuel, la bibliothèque Villon, est vétuste, inadapté et trop petit pour accueillir l’ensemble des collections que possède la Ville. Les magasins sont totalement saturés. Cette situation ne permet pas de mettre les collections en libre accès pour attirer le public, de les valoriser par des actions temporaires, et de favoriser un travail efficace et optimal du personnel. Or mettre ce bâtiment aux normes et le rendre fonctionnel, n’est guère possible sauf à faire des travaux considérables, dont il faudrait avoir des estimations.

En second lieu, Rouen et son agglomération présentent un retard important en matière d’accès à la lecture publique, notamment en matière de mise à disposition d’équipements autres que le livre. Seul un grand équipement serait à même de fédérer une offre électronique d’envergure adaptée, par sa capacité à négocier avec les ayants-droits en disposant d’une force de pression suffisante.

Par ailleurs, au regard du fond patrimonial dont dispose Rouen, le 4ème de France, de la gestion du dépôt légal imprimeur que lui a confié la Bibliothèque Nationale de France, du réseau existant au niveau de l’agglomération et en comparaison à des Médiathèques construites dans d’autres villes, la Ville aurait besoin de près de 10 000m² de surface. Prévue sur 9100 m², la Médiathèque est donc nécessaire et certainement pas surdimensionnée.

Enfin, on notera que la construction d’équipements structurants visant à développer la lecture publique s’inscrit dans une programmation nationale mise en œuvre par le ministère de la Culture et de la communication (les 12 bibliothèques à vocation régionale) à laquelle ont été rattachées ultérieurement d’autres médiathèques dont celle de Rouen. On peut rappeler à ce titre que l’Etat a réformé, par décret du 11 octobre 2006, le concours particulier de la dotation générale de décentralisation pour les bibliothèques municipales et les bibliothèques départementales de prêt afin d’augmenter, à la hauteur des besoins constatés, le financement de bibliothèques et de Médiathèques, comme celle de Rouen ou d’Angoulême. La participation de l’Etat a de ce fait été inscrite au projet de loi de finances 2007 et une subvention de 7 millions d’euros attribuée à la ville dont 3,5 millions engagés.

L’objectif n’était nullement de détruire le réseau des bibliothèques de proximité mais de le renforcer par un équipement central moderne et bénéficiant des technologies les plus récentes (numérisation, informatisation, supports audiovisuels, auditorium…), équipement dont la nécessité a été reconnue par ces mêmes élus socialistes lors des débats municipaux entre 2001 et 2007. On ne voit donc pas comment, bénéficiant de technologies innovantes et offrant des services de référence uniques sur le territoire haut normand, la construction d’une grande Médiathèque serait en contradiction avec un maillage étoffé de bibliothèques de proximité. L’expérience de BMVR déjà en service prouve au contraire que ces dernières ont profité du développement global de la lecture publique (fréquentation, documents empruntés, abonnements…).

Faut-il rappeler que la réalisation de cette Médiathèque à vocation régionale a fait l’objet d’une double reconnaissance. Tout d’abord dans le contrat de projet qui engage l’Etat et la région Haute-Normandie sur la période 2000-2006, reconduit dans le contrat de projet 2007-2013. En second lieu dans sa déclinaison territoriale, le contrat d’agglomération qui engage la ville signataire en tant que commune membre de la Communauté d’Agglomération Rouennaise en date des 7 et 23 octobre 2003. L’intérêt général, de niveau régional, de cet équipement ne peut être ainsi méconnu.

A la raison invoquée que la ville n’aurait pas les capacités financières à supporter la réalisation de cet équipement, je tiens à apporter les précisions suivantes. La charge financière de cet équipement n’est pas une découverte. Son évaluation a toujours été précisément indiquée et doit être rapportée à la capacité globale de la ville qui est évidemment affaire d’appréciation et de choix. Tout d’abord, les caisses ne sont pas « vides » comme abusivement affirmé par la nouvelle équipe municipale puisque le compte administratif a dégagé un résultat net de 10 M d’€. La ville n’est pas non plus endettée de façon démesurée, puisque le ratio de désendettement est largement en dessous (10,4 ans) du seuil d’alerte communément admis (15 ans). Enfin, la Médiathèque est finançable puisque le coût de construction est de l’ordre de 46 M d’€ et qu’il reste à financer 34 M d’€ entre 2008 et 2011. Compte tenu des concours financiers obtenus et du remboursement de la TVA (8 M d’€), cela représente une charge pour Rouen de 6 à 7 M € par an. Cela est tout à fait compatible avec la capacité d’investissement de la ville. Hors subvention, la ville a en effet investi pendant le dernier mandat de 23 à 43 M d’€ chaque année.

Quand au surcoût de fonctionnement estimé à 1 565 000 € par an, il a déjà été pris en compte par le recrutement progressif de personnel supplémentaire depuis 2005. Le coût prévisionnel global à Rouen comprenait la Médiathèque et quatre annexes, Saint-Sever devant être transféré parce que très proche.

La Médiathèque représente certes une charge importante pour la ville, -la région et le département ayant choisi de ne subventionner que très faiblement, voire pas du tout cet équipement, ce qui ne s’est jamais vu ailleurs en France pour un projet de cette envergure-, néanmoins c’était un choix volontaire assumé par l’ancien Maire Pierre Albertini et son équipe qui entendaient faire du livre et de la lecture publique, première condition d’accessibilité à la culture, une de ses priorités. Visiblement la même ambition de politique culturelle ne guide pas le Président du Conseil Général de la Seine-Maritime qui est prêt aujourd’hui en annonçant son désir de reprendre le site pour y installer les archives départementales à investir 20 M d’euros, alors qu’il n’avait accordé que 300 000 euros pour le projet de Médiathèque. Le contribuable appréciera ce choix de Politique Publique !

Il est vrai qu’aujourd’hui la ville continue d’assumer beaucoup de charges de centralité qui devraient être transférées à l’Agglomération. Si la question financière représente un obstacle insurmontable pour le nouveau Maire de Rouen, elle devrait, à l’heure où l’on évoque la création d’une Communauté Urbaine (qui bénéficiera de moyens plus importants), militer pour qu’enfin soient définies les compétences culturelles. j’avais largement relayé cette demande légitime au conseil d’Agglomération dans les années précédentes; en effet, elle avait évoqué, comme la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales le stipulent, la nécessité de poser des critères à la fois claires, précis, objectifs et quantifiables, permettant de définir les compétences pour lesquelles la Communauté d’Agglomération aurait été alors susceptible d’intervenir en. J’avais évoqué quatre critères généralement retenus par 66% des agglomérations qui ont pris en charge les compétences culturelles :
 présenter un caractère unique, sans équivalent dans l’agglomération,
 proposer une activité de nature à satisfaire une offre globale de services culturels à l’échelle de l’agglomération,
 bénéficier d’un rayonnement communautaire ou extra-communautaire en terme de fréquentation,
 associer plusieurs collectivités publiques au financement du fonctionnement et/ou de l’investissement.

Aujourd’hui, force est de constater que la Médiathèque répond à ces critères au même titre d’ailleurs que d’autres établissements comme l’Ecole Régionale des Beaux Arts, et le Conservatoire à rayonnement régional de Rouen…

En quoi la future Communauté Urbaine ferait elle exception quand, selon les indications données par l’Assemblée des Communautés de France, la première compétence exercée dans le domaine culturel est le livre et la lecture publique.

La vraie question est de savoir quel est le meilleur schéma pour favoriser et développer la lecture publique à Rouen et mettre en valeur ses fonds patrimoniaux pour le plus grand nombre. Aujourd’hui la plus grande confusion règne, chaque jour apportant son lot de contradictions, démontrant aussi que le Maire de Rouen est tantôt pris de vitesse par le Président de l’Agglomération, Monsieur Fabius, qui annonce la destruction de la Médiathèque, tantôt par le président du Département, Monsieur Marie, qui préempte le lieu pour les Archives Départementales. Les conseillers municipaux de Rouen ont-ils encore voix au chapitre ?! Les habitants du quartier Grammont seront-ils satisfaits en dépit de leurs attentes exprimées, de se voir imposer un équipement qui aussi respectable soit il, ne sera pas forcément l’outil le plus propice au croisement des publics et des générations. Dernière contradiction : aux dernières nouvelles, on apprend qu’un ordre de reprise du chantier a été émis aujourd’hui alors que les travaux ont été arrêtés en début de semaine. C’est à ne plus rien y comprendre.

Soucieux de l’intérêt général, redevable auprès des électeurs de décisions prises dans la clarté et la transparence, respectueux des engagements pris et du principe de continuité républicaine, les élus du groupe Centre Démocrate et Indépendants ont déposé ce jour une demande de déféré préfectoral.

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