Projet de loi relatif aux libertés des universités – Discussion générale

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an nous votions la loi de programme pour la recherche et nous regrettions que l’université soit la grande absente de cette réforme. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes satisfaits de voir arriver ce débat sur la réforme et l’autonomie des universités, réforme tant de fois différée au cours des deux dernières décennies.

Avant d’entrer dans le coeur du sujet, je formulerai quelques observations sur les conditions d’examen du texte. Nous ne contestons nullement la rapidité avec laquelle la concertation a été menée, puisque le Gouvernement a su reporter la présentation du texte en conseil des ministres. Ce délai a permis de tenir compte des remarques de la communauté universitaire et, ainsi, d’améliorer substantiellement le projet de loi.

Toutefois, nous trouvons les conditions d’examen du texte dommageables pour la qualité du travail parlementaire. En effet, la version définitive du projet de loi ne nous ayant été transmise que jeudi dernier, une partie de nos auditions ont porté sur une version provisoire du texte. En outre, nous n’avons eu connaissance du rapport de la commission qu’hier matin. Autant dire que nous n’avons pas pu analyser avec tout le soin que nous aurions souhaité le travail de notre collègue rapporteur. Cela a une incidence sur notre capacité à déposer des amendements.

La revalorisation du Parlement, thème repris ces dernières semaines par le Président de la République et par le Premier ministre, passe aussi par des conditions correctes d’examen des textes qui sont présentés aux parlementaires. Si nous avons le temps d’étudier attentivement les dispositions, la qualité de notre travail n’en sera que meilleure, madame la ministre !

S’agissant de l’université, quel est le constat aujourd’hui ? Seuls 37 % d’une classe d’âge accèdent à la licence, alors que la moyenne de l’OCDE est de 53 %. Chaque année, 90 000 jeunes quittent l’université sans avoir obtenu de diplômes. Les débouchés professionnels ne sont pas à la hauteur. Enfin, pour trop d’étudiants, le chômage reste la seule issue.

Tout le monde s’accorde sur le diagnostic. La France a maltraité son université depuis des années : les moyens qui lui sont alloués sont notoirement insuffisants ; nos doctorants les plus brillants et nos meilleurs chercheurs quittent notre pays pour trouver des conditions de travail et des rémunérations à la hauteur de leurs talents et de leurs compétences ; le niveau de notre recherche baisse dans les classements internationaux ; nos universités manquent de visibilité internationale du fait de leur émiettement ; la formation de nos élites est assurée par les grandes écoles, lesquelles se consacrent insuffisamment à la recherche.

Or un pays qui se préoccupe de son avenir doit se soucier de ses jeunes, en particulier de leur formation.

Nous consacrons peu d’argent à la formation de nos étudiants, nettement moins que les pays avec lesquels la comparaison est pertinente. Par ailleurs, dans l’économie de la connaissance qui vient de s’ouvrir, la compétition économique mondiale se joue précisément sur le terrain de la formation, de la qualité de l’enseignement supérieur et du dynamisme de la recherche.

C’est pourquoi une réforme est indispensable pour permettre aux universités françaises d’affronter les défis de demain.

Si le projet de loi vise – je reprends vos propres termes, madame la ministre – à « permettre à toutes les universités d’affirmer leur excellence scientifique et [à] offrir aux étudiants les conditions d’une réussite sociale et personnelle fondée sur le travail et le mérite », je note – vous l’avez vous-même affirmé – que la réforme que vous nous présentez aujourd’hui concerne principalement la gouvernance et l’autonomie des modes de gestion de l’université.

Certes, ce n’est pas la grande réforme de l’université que souhaitaient certains : on l’aura remarqué, certains sujets ne sont pas traités dans ce texte. Le projet de loi contient cependant diverses mesures qui sont les prémices des réformes sur lesquelles vous vous êtes engagée. L’autonomie n’est bien qu’un outil, qu’un moyen : elle forme le socle, une première étape dans la rénovation globale de notre système d’enseignement supérieur et de la recherche.

Comme chacun sait, et comme le souligne dans son rapport notre collègue Jean-Léonce Dupont, cette réforme ne sera profitable qu’à la condition que d’autres réformes de l’université soient engagées rapidement – lutte contre l’échec en premier cycle, revalorisation des carrières enseignantes, conditions de vie des étudiants, pour n’en citer que quelques-unes – et que les moyens financiers soient au rendez-vous. J’y reviendrai.

L’autonomie des universités est une condition première de l’efficacité et de la réussite. Nous saluons donc les améliorations réelles que comporte le projet de loi en matière de gouvernance. En resserrant le conseil d’administration et en lui donnant une fonction plus stratégique, d’une part, en accordant au président d’université une autorité renforcée et en lui confiant un rôle plus actif dans le management de ses équipes, d’autre part, le texte donne les moyens d’un véritable pilotage des universités.

Il est, en effet, nécessaire de simplifier, de clarifier et de rendre plus efficaces les procédures de décision dans l’université. En ayant su écouter les présidents d’université et les représentants des étudiants, madame la ministre, vous avez levé les inquiétudes sur « l’autonomie à la carte », qui aurait inévitablement conduit à des universités à plusieurs vitesses. Nous espérons que le délai de cinq ans qui a été fixé permettra à l’ensemble des universités de se doter de responsabilités et de compétences élargies en matière budgétaire comme en matière de gestion des ressources humaines.

Enfin, il nous semble plus raisonnable que le transfert et la gestion des bâtiments universitaires restent optionnels et soient accordés aux universités sur leur demande, étant donné l’état inégal de ce patrimoine et la charge financière importante qu’il représente.

Sur plusieurs points toutefois, il nous semble que le projet de loi peut encore être amélioré, sans qu’en soit pour autant dénaturé l’esprit. Ainsi, si nous approuvons globalement la composition du conseil d’administration et les nouvelles missions qui lui sont confiées afin d’en faire un lieu de décision stratégique, deux questions méritent d’être posées. La première porte sur le mode de scrutin pour l’élection des représentants des enseignants-chercheurs au conseil d’administration, qui ne nous semble pas à même d’assurer une représentation pluraliste des secteurs de formation et des courants d’opinion. La seconde a trait au statut des personnalités extérieures et à leur rôle dans l’élection du président.

L’autonomie doit également se traduire par une décentralisation interne, afin que les décisions se prennent au plus près des acteurs, au sein des unités de formation et de recherche. Il convient aussi, à notre avis, de garantir une qualification académique suffisante au président de l’université puisque, en plus de détenir les pouvoirs de gestion, il exerce le pouvoir académique. C’est pourquoi, comme le demandent les représentants des enseignants-chercheurs, nous souhaitons préciser que le président de l’université est nécessairement un enseignant-chercheur.

En outre, en ce qui concerne les procédures de recrutement des enseignants-chercheurs, il nous semble utile de rassurer ces derniers en apportant plusieurs modifications au texte, afin de garantir la qualification scientifique du personnel enseignant recruté de façon dérogatoire. Nous proposerons ainsi d’exclure de cette nouvelle procédure le cas des agrégations de l’enseignement supérieur, de revoir la composition du comité de sélection nouvellement créé et de limiter le droit de veto accordé au président de l’université en matière d’affectation du personnel enseignant.

Enfin, s’agissant des facultés de médecine, nous souhaitons qu’une solution équilibrée soit trouvée qui tienne compte de leur spécificité, notamment en matière d’affectation des emplois d’hospitalo-universitaires.

L’orientation et l’insertion professionnelles, qui constituent un autre sujet essentiel à nos yeux, sont enfin reconnues comme l’une des missions du service public de l’enseignement supérieur. Nous savons que deux tiers des étudiants de première année auraient préféré être inscrits dans une autre filière et que 50 % des étudiants estiment ne pas avoir été suffisamment informés avant de choisir leur formation. D’ailleurs, près de 60 % des étudiants ne terminent pas les études qu’ils ont commencées.

En premier cycle, le taux d’échec est de 50 %. Ce chiffre, par sa globalité, cache une réalité plus complexe. Les étudiants titulaires d’un baccalauréat général réussissent leur premier cycle à l’université, puisque plus de 80 % d’entre eux passent le cap et accèdent au deuxième cycle.

Ce sont essentiellement ceux qui, après avoir obtenu un baccalauréat professionnel ou technologique, s’aventurent à l’université qui rencontrent des difficultés. C’est pour eux que l’orientation est la plus défaillante : ces bacheliers vont à l’université par défaut, sans connaître les disciplines dans lesquelles ils s’inscrivent, sans en connaître les débouchés et, surtout, sans y être préparés. Alors qu’ils se destinaient à des études courtes, ils choisissent – en fait, ils n’ont pas le choix ! – d’aller à l’université, seule filière non sélective de l’enseignement supérieur, puisque les IUT et les STS sont devenus des filières sélectives au même titre que les classes préparatoires.

C’est la raison pour laquelle je crois nécessaire la mise en place d’un système d’orientation active pour les étudiants qui connaissent aujourd’hui une sélection par l’échec. La volonté de renforcer considérablement la politique et les instruments d’orientation professionnelle se traduit par l’instauration d’une procédure de préinscription des étudiants pour l’accès à l’université. Elle leur permettra de bénéficier du dispositif d’information et d’orientation dudit établissement. Il est en effet indispensable d’informer les étudiants des débouchés professionnels, du type d’études, du nombre de postes, auxquels les conduisent les filières qu’ils choisissent.

Néanmoins, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous expliquiez en quoi consiste cette procédure et en quoi elle permet de mieux orienter les étudiants, afin de rassurer ceux qui pourraient y voir une sélection déguisée. Cette politique d’orientation active proposée dès le lycée devra être un élément central du futur texte sur la lutte contre l’échec dans le premier cycle universitaire, qui est une urgence.

Le semestre d’orientation existe déjà à l’université : il vise à permettre à des étudiants de « bifurquer » quand ils se rendent compte qu’ils se sont trompés de filière ou de voie professionnelle. Il faut aller plus loin. Pourquoi ne pas envisager la terminale comme une classe préparatoire à l’enseignement supérieur, une sorte de propédeutique, c’est-à-dire une année de passage vers l’autonomie dans les études et la découverte du travail personnel ? Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle américain où les étudiants suivent un enseignement généraliste au cours des deux premières années avant de se diriger vers les domaines pour lesquels ils démontrent une aptitude particulière ? Ce sont là quelques pistes de réflexion.

Il faut aussi considérer l’accompagnement des étudiants en première année, qui est la plus difficile. L’université manque de tuteurs, d’aides-bibliothécaires, de répétiteurs, de moniteurs, d’accompagnateurs ; tous ces services pourraient être assurés par des étudiants plus âgés. Ces soutiens rendraient également plus accueillante l’université et amélioreraient la qualité de vie sur les campus. Je note avec satisfaction que l’article 18 du projet de loi va dans ce sens en prévoyant le recrutement d’étudiants par le président précisément pour assurer ces services.

Je terminerai par le plus important, les moyens financiers. Le Président de la République s’est engagé sur une augmentation des moyens pour l’enseignement supérieur de cinq milliards d’euros sur cinq ans. C’est un engagement déjà important, même s’il ne représente pas une augmentation de 50 %, puisque le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est de vingt milliards d’euros.

L’effort de rattrapage que nous avons à accomplir est énorme.

Vous nous l’avez rappelé, madame la ministre, notre pays investit moins que ses concurrents dans l’enseignement supérieur : il dépense moins pour un étudiant que pour un lycéen, et presque moitié moins pour un élève de classe préparatoire. Ces chiffres placent la France au quinzième rang sur vingt-trois au sein de l’OCDE.

Ce sous-investissement chronique dans l’enseignement supérieur conduit à la misère des universités françaises – bâtiments dégradés, locaux fermés, installations sportives vétustes, services administratifs indigents, bibliothèques insuffisantes – et aux résultats que révèlent les classements internationaux, si critiquables soient-ils.

Nous pensons qu’il serait intéressant de mettre en oeuvre un pacte d’investissement pour l’enseignement supérieur sur dix ans engageant l’ensemble des partenaires responsables, afin de porter l’investissement, par étudiant, au niveau de la moyenne des pays les plus performants de l’OCDE, ce qui signifie un objectif de doublement en dix ans. Cela sera nécessaire eu égard à la stratégie de Lisbonne, qui a notamment retenu l’objectif suivant : l’accès de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence en 2010, alors que, je le disais en commençant, nous en sommes seulement aujourd’hui à 37 %.

Engager les universités sur la voie de l’autonomie, c’est aussi leur donner la possibilité d’accroître leurs ressources propres, ce qui est indispensable. À cet égard, les dispositions relatives aux fondations que vous proposez vont dans le bon sens, madame la ministre. Je tiens à ajouter que la réflexion sur les frais d’inscription des étudiants ne doit pas être taboue mais doit être engagée en complément d’une véritable refonte du système des bourses et des aides sociales étudiantes. On sait bien aujourd’hui que la gratuité pour tous est, en réalité, le plus souvent un cadeau fait aux riches. Nombre d’études le montrent.

Cet investissement massif sera en tout cas nécessaire si nous voulons entreprendre la revalorisation des carrières enseignantes et des jeunes chercheurs. Le projet de loi fait un premier pas dans cette direction en prévoyant un système de primes et des dispositifs d’intéressement. Ces dispositifs doivent permettre de conserver les chercheurs les plus brillants et d’attirer les enseignants-chercheurs étrangers dans nos universités françaises.

Par ailleurs, il est important de réfléchir à la répartition des obligations de service des enseignants-chercheurs entre les activités d’enseignement, de recherche et les tâches notamment administratives pour permettre aux jeunes docteurs de se consacrer pleinement à leurs activités de recherche.

Aux termes du projet de loi, le conseil d’administration pourra mieux répartir ces obligations. Mais ce ne sera pas suffisant : il faut réfléchir plus globalement à la place de la recherche et de l’enseignement supérieur dans notre société. Les doctorants, les enseignants-chercheurs, les chercheurs des grands organismes sont mal rémunérés en comparaison de leurs collègues américains ou européens. Un récent article a montré les difficultés auxquelles sont confrontées les universités françaises pour attirer vers elles et pour s’attacher les meilleurs d’entre eux, faute de rémunérations suffisantes.

Il s’agit donc de rendre plus attractives les carrières universitaires en améliorant les conditions de travail et en repensant les carrières enseignantes.

Il s’agit aussi de faire en sorte de valoriser les activités de recherche en France, par exemple, en reconnaissant que l’université et les grades les plus élevés qu’elle délivre sont aussi des voies de formation des élites dirigeantes de notre pays.

Dans les autres pays occidentaux, l’université et la recherche sont considérées comme la voie normale de sélection et de formation des futurs responsables de la nation.

Autant dire, madame la ministre, que nous sommes impatients de travailler avec vous dès l’automne prochain pour élaborer les textes de loi qui concrétiseront l’ensemble des chantiers que vous avez ouverts.

Nous serons aussi, comme nous l’avons dit, très attentifs à la traduction des engagements budgétaires du Président de la République dès la discussion du projet de loi de finances pour 2008. On ne saurait trop le répéter : sans cet engagement financier massif, la réforme de la gouvernance et de l’autonomie des universités ne servirait pas à grand-chose.

Je veux, au terme de mon intervention, remercier les membres de la commission des affaires culturelles, son président et son rapporteur, notre collègue Jean-Léonce Dupont, de la qualité de leur travail sur ce projet de loi. C’est une prouesse quand on songe aux délais qui leur ont été impartis !

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