Réflexions autour de l’assistance médicalisée à mourir

Le 25 janvier dernier, un débat important et nécessaire sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée à mourir, s’est déroulé au Sénat.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, dernier en date des textes consacrés aux aspects médicaux de la fin de vie, a cherché à rompre avec la vision technique de la mort en interdisant l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire les mesures « inutiles disproportionnées ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Elle a rendu au malade en fin de vie la maîtrise des soins qui lui sont administrés, en prévoyant son information sur les effets potentiels des traitements, et en lui reconnaissant le droit de demander leur arrêt même s’ils sont destinés à prolonger sa vie. La loi a également encadré la possibilité de cet arrêt pour les personnes incapables d’exprimer leur volonté. Dès lors, aucune décision ayant pour effet secondaire d’abréger la vie ne peut être prise sans que le malade en soit informé, mais il peut obtenir l’interruption de traitements curatifs, cet arrêt devant entraîner sa prise en charge par des traitements palliatifs.

Six ans après l’adoption de cette loi, on constate néanmoins que, malgré les plans successifs pour augmenter le nombre de places dans les services de soins palliatifs, beaucoup de malades et de leurs proches ne trouvent ni l’information dont ils ont besoin, ni une prise en charge adaptée. Trop peu sont entourés de personnels formés et capables de leur apporter le réconfort psychique comme physique dont ils ont cruellement besoin. On note un trop grand décalage entre l’affichage de créations de places nouvelles et dans les faits, des moyens trop insuffisants fléchés spécifiquement sur les soins palliatifs. On remarque aussi que trop peu de professionnels se sont appropriés cette loi dans toutes ses dimensions.

Fort de ces constatations, le Sénat a souhaité débattre et réfléchir collectivement sur ce sujet de société. Mais pour qu’il y ait débat, encore faut-il savoir quelle est exactement la situation aujourd’hui en France. Nous avons besoin d’un état des lieux qui permette de connaître quelles sont les pratiques, quelles sont les dérives, quelles conséquences nous serions en droit d’attendre d’un changement de la législation. A ce niveau-là, il faut reconnaître que nous ne disposons pas d’une photographie précise de ce qui se passe.

L’Observatoire de la fin de vie, créé en 2010 seulement, ne dispose pas encore des données suffisantes pour nous renseigner. Il serait important que ces données puissent être collectées le plus rapidement possible et qu’elles englobent, de manière détaillée, les cas litigieux. Par ailleurs, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs a, elle aussi, annoncé la poursuite de travaux de recherche pour mieux chiffrer, préciser et comprendre les demandes de mort anticipées.

Au-delà de ces éléments législatifs et analytiques, ce débat a amené chacun d’entre nous à s’interroger personnellement.

D’un côté, on ne peut pas être indifférent aux « appels au secours » que peuvent émettre des malades qui souffrent d’un mal qui provoque des douleurs insupportables et ne leur laisse aucun espoir d’amélioration. On souhaite répondre efficacement à leur souffrance.

D’un autre côté, et quelles que soient les précautions dont on s’entoure pour s’assurer qu’elle est réclamée en toute connaissance de cause par un adulte capable et qu’elle procure une mort sans souffrance, la décision d’aider une personne à mourir aboutit à commettre un acte qui donne consciemment la mort.

De plus, force est de constater que notre société connait une défection majeure du lien social ; elle marginalise les personnes malades qui sont victimes d’un sentiment d’inutilité et de dépendance (physique, morale, financière…). Dans un contexte où l’allongement du temps de la vie, la dépendance ne va faire que s’accroître. Ces ressentis, alliés à une certaine pression familiale, pourraient motiver le choix d’une assistance médicalisée entrainant la mort, dont nous devons absolument nous prémunir.

Enfin, au regard des dérives qui apparaissent en Belgique (qui a dépénalisé l’euthanasie  depuis 2002) telles que la proposition de loi permettant une ouverture de l’euthanasie aux mineurs, il me semble tout indiqué d’être particulièrement vigilant sur un texte de cette envergure. 

Pour toutes ces raisons, je ne pense pas, aujourd’hui, qu’il appartienne au législateur de franchir le pas et de légaliser l’assistance médicalisée à mourir. Ainsi, il est avant tout nécessaire que nous nous donnions réellement les moyens de rendre applicable, partout sur le territoire, la loi Léonetti ; que les personnes malheureusement condamnées puissent mourir dans la dignité sans souffrance et en bénéficiant vraiment des soins palliatifs indispensables. Nous devons dépasser ce statu quo où 20 % seulement des gens qui ont besoin de soins palliatifs y ont accès. C’est comme cela, me semble-t-il, que notre société se grandira sans renier aucun de ses principes.

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