2e lecture du projet de loi relatif aux archives : intervention de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les archives constituent notre mémoire vivante : elles nous donnent les clés de compréhension de notre histoire, de notre identité et de celle de nos territoires ; elles sont aussi ancrées dans notre quotidien et sont un instrument fondamental de toute démocratie.

Le projet de loi, que la Haute Assemblée a déjà enrichi puis adopté à l’unanimité en janvier dernier, s’articule autour de la double dimension – patrimoniale et citoyenne – des archives. Il tend à répondre à une exigence de modernité de cette politique, face aux défis de l’ère numérique et dans un contexte de production de plus en plus massive d’archives publiques, dont le volume a quasiment doublé en trente ans.

Une rénovation du cadre juridique des archives, issu de la loi du 3 janvier 1979, était donc devenue nécessaire. C’est pourquoi la commission des affaires culturelles du Sénat, saisie pour avis en première lecture et dont j’étais alors le rapporteur, a partagé les orientations générales de ce texte, tout en contribuant à l’enrichir sur certains points.

En effet, le projet de loi répond, d’une part, à des besoins et à des attentes légitimes de la communauté scientifique et de nombre de nos concitoyens, généalogistes amateurs ou passionnés d’histoire contemporaine, en ouvrant plus largement l’accès aux archives publiques.

Ce texte renforce, d’autre part, la protection de ce pan de notre patrimoine culturel et historique que représentent les archives, aussi bien publiques que privées.

Je me réjouis que ce projet de loi, fruit d’une réflexion approfondie, soit enfin sur le point d’aboutir. Cette lente maturation ainsi que les modifications introduites par le Sénat et les échanges que celles-ci ont suscités lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale montrent la difficulté à trouver un point d’équilibre satisfaisant entre des intérêts parfois contradictoires : l’exigence de transparence de l’action publique, le principe tout aussi fondamental de protection de la vie privée et de la sûreté de l’État, et, enfin, les intérêts scientifiques de la recherche.

Néanmoins, à l’issue de cette première navette, le compromis trouvé sur la question des délais de communication des archives publiques paraît équilibré.

Contrairement aux interprétations qui ont pu en être données ces dernières semaines, ce texte ne traduit pas un recul. Son ambition est tout autre, puisqu’il s’agit d’abord de libéraliser l’accès aux archives, afin de rapprocher notre régime des dispositifs en vigueur chez nos voisins européens, et de faciliter ainsi les travaux des historiens, des étudiants et des chercheurs.

L’affirmation du principe de libre communicabilité des archives est un premier progrès en ce sens. La réduction des délais et de leur nombre consacre cette même volonté de lisibilité et d’ouverture accrue de notre politique des archives. En outre, sur l’initiative de nos deux commissions, le texte réaffirme le principe d’autonomie des assemblées dans la conservation de leurs archives, tout en rappelant l’exigence de transparence qui prévaut déjà, d’ailleurs, dans leur gestion.

La reconnaissance des protocoles de versement et le cadre juridique donné aux archives des groupements de collectivités permettront également d’améliorer la collecte des archives politiques.

Par ailleurs, ce texte participe d’une démarche de valorisation de la politique des archives : c’est ce qu’a souhaité la commission des affaires culturelles en instituant dans la loi le Conseil supérieur des archives et en donnant ainsi une plus grande visibilité à cette politique.

Je me réjouis, en parallèle, de la mobilisation qui a permis le lancement du chantier du nouveau centre des Archives nationales, qui devrait voir le jour d’ici à 2012 à Pierrefitte-sur-Seine. Ce projet traduit une ambition nouvelle. Il contribue aussi à l’ouverture des archives, puisqu’il répond à la saturation des locaux actuels et offrira des conditions optimales de conservation et surtout de consultation des documents pour le public. Il permettra également – du moins je le souhaite – d’intensifier les actions de sensibilisation en direction des jeunes publics. Ces dernières sont en effet essentielles pour faire prendre conscience à chacun de l’intérêt des archives et de l’impérieuse nécessité d’en assurer la collecte, non seulement dans les administrations, mais également dans les entreprises.

Toutefois, malgré ces avancées incontestables, il nous faut également entendre les inquiétudes exprimées par les chercheurs, historiens et archivistes, même si celles-ci ont été en partie levées après le compromis trouvé sur les délais de communication.

C’est pourquoi j’insiste, madame la ministre, sur la nécessité de veiller aux conditions d’application de ce texte, afin que celles-ci traduisent, dans les interprétations qui en seront faites par l’administration des archives et les services producteurs, ce souci d’une plus large ouverture des archives.

Or il existe des craintes que cette ambition ne se retrouve limitée, dans les faits, soit par des interprétations trop restrictives de la loi, soit, très concrètement, par un manque de moyens humains dans les services d’archives pour classer et traiter les fonds qui pourront désormais être consultés ; cela représentera en effet un travail colossal, et c’est un point sur lequel nous avons insisté lors de la première lecture.

Une autre inquiétude concerne l’octroi des dérogations. L’Assemblée nationale a introduit, à cet égard, un délai maximum de deux mois pour l’examen des demandes. Si cette durée ne semble guère réaliste au regard de la situation actuelle, il faudrait néanmoins parvenir à tendre vers cet objectif, notamment pour les étudiants qui ne disposent que de peu de temps pour réaliser leurs travaux.

Pourriez-vous, madame la ministre, nous apporter des garanties sur ces différents sujets de préoccupation partagés par les usagers et professionnels des archives ?

S’agissant ensuite du volet « Protection du patrimoine d’archives », je me réjouis que le projet de loi consacre l’engagement que vous aviez pris à l’automne, en lien avec Mme la ministre de la justice, pour réprimer plus sévèrement le vol, la dégradation, la destruction ou le trafic de biens culturels, notamment d’archives classées.

Notre arsenal pénal manquait, en effet, de sanctions adaptées à la gravité de ces actes de délinquance, alors que notre pays, de par la richesse de son patrimoine, est l’un des plus touchés par le trafic de biens culturels. Nous avons pu prendre la mesure, ces derniers mois, de sa vulnérabilité, après le pillage de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan ou le vol à main armée de quatre tableaux de maître au musée des Beaux-Arts de Nice, en août 2007.

Nous ne pouvons nous satisfaire que la seule réponse préventive soit la fermeture de nos églises ou de nos monuments historiques par leurs propriétaires. Toutefois, nous savons que le trafic d’œuvres d’art est international et que tout ne peut être réglé au seul niveau national. Il est donc nécessaire que les pays unissent leurs efforts pour lutter contre cette forme de délinquance organisée. Nous espérons que des avancées seront également engagées en ce sens, notamment à l’échelon européen, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne.

Enfin, je regrette, madame la ministre, qu’ait été finalement supprimé du texte le dispositif fiscal, adopté par le Sénat en première lecture, visant à inciter les propriétaires d’archives privées classées comme archives historiques à conserver ce patrimoine dans de bonnes conditions. L’Assemblée nationale a en effet voté, contre l’avis du rapporteur de la commission des lois, l’amendement de suppression présenté par le Gouvernement.

Cette mesure, je le rappelle, étendait aux archives le dispositif de réduction plafonnée d’impôt introduit, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007, au bénéfice des biens mobiliers classés.

Certes, le contexte actuel de révision générale des politiques publiques et de remise à plat de l’ensemble des niches fiscales n’est pas propice à un examen serein de cette mesure, mais je tiens à souligner l’intérêt de cette dernière. En outre, son incidence financière serait dérisoire, puisqu’on ne compte qu’une quarantaine de fonds classés contre 13 000 objets mobiliers. Or les archives privées, on le sait, sont un gisement précieux mais encore largement inexploité. Cette mesure de protection de notre patrimoine aurait donc également eu des retombées positives pour les historiens et les chercheurs.

Je souhaite par conséquent qu’une étude d’impact soit effectivement réalisée, ainsi que le Gouvernement l’appelait de ses vœux, et que cette disposition puisse être réexaminée, sans a priori et de manière objective, à l’occasion du prochain projet de loi de finances.

Je ne saurais, par ailleurs, manquer de renouveler notre attachement aux dispositifs fiscaux existants en matière de patrimoine, dont le réexamen soulève actuellement des inquiétudes. Ces dispositifs, qu’ils concernent les secteurs sauvegardés ou les monuments historiques, participent au financement de notre politique culturelle, alors que ce budget représente moins de 1 % du budget de l’État.

Sous réserve de ces observations, le groupe UC-UDF votera ce texte, qui marque un progrès dans le sens de la connaissance, de la transparence et de la mémoire.

Partager CE CONTENU

Partager sur facebook
Partager sur google
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur print
Partager sur email