Je suis intervenue au nom du groupe Union Centriste, ce matin, lors de la célébration du 30ème anniversaire du vote par le Sénat de la loi abolissant la peine de mort.
La cérémonie sera rediffusée aujourd’hui à 16h et mardi 4 octobre prochain à 10h30 sur la chaine Public-Sénat
Retrouvez mon allocution de ce matin :
30ème anniversaire du vote de la loi abolissant la peine de mort par le Sénat
Intervention de Catherine Morin-Desailly
Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Monsieur Badinter,
Mes chers collègues,
L’exécution de Troy Davis, devenu un véritable symbole, le 21 septembre dernier nous a tristement rappelé que le combat pour l’abolition universelle de la peine capitale reste hélas pleinement d’actualité.
Certes, la France a aujourd’hui achevé le parcours juridique faisant d’elle une nation pleinement abolitionniste. Un parcours long dont témoignent les nombreuses tentatives d’abolition au cours du siècle dernier.
Ce fut d’abord la loi de 1981, et nous tenons là à rendre hommage au garde des sceaux de l’époque, notre collègue Robert Badinter qui coïncidence oblige quitte ses fonctions parlementaires au moment où nous commémorons le 30ème anniversaire d’un texte de loi majeur dans l’histoire de notre République.
Puis ce fut l’inscription de l’interdiction de la peine capitale dans notre Constitution le 23 février 2007 qui a enfin permis à notre pays de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. J’ai eu la chance de vivre ce moment en tant que parlementaire. Enfin le 2 octobre 2007, la ratification du protocole visant à abolir la peine de mort du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Si, en France, le combat du droit est gagné, celui des mentalités a aussi considérablement progressé. En 1981, selon un sondage Sofres, 62% des français se déclaraient favorables à la peine capitale. En janvier 2011, toujours selon TNS Sofres, ils ne seraient plus que 29%.
Pour autant l’opinion reste fluctuante au gré d’événements dont on aimerait pouvoir se passer. Considérant cela il ne s’agit pas la de refaire, un énième débat sur l’abolition de la peine de mort. Les arguments sont connus. Mais parmi ceux-ci il y a, ce qui me semble important, le droit au remords et à la rédemption au sens éthymologique du terme, et il y a tout simplement le droit à la vie inscrit dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme.
C’est au nom de cette conception qu’on se fait de l’homme, qu’il appartient à la France, toujours et encore de porter ce message auprès des pays qui n’ont cessé de pratiquer ce qui reste un acte barbare. La tâche est encore grande.
En effet, en 2011, la peine de mort demeure une sanction pénale dans la majorité des pays de la planète. On compte 94 pays abolitionnistes contre 102 pays non abolitionnistes.
Au sein de ces derniers, il convient tout de même de faire des distinctions. Des Etats comme le Brésil ou Israël ont aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun. On compte aussi un grand nombre de pays, tels que la Russie, qui prévoient la peine de mort dans leur législation sans toutefois l’appliquer dans les faits. On peut donc considérer tous ces pays comme abolitionnistes en fait, faute de l’être en droit. Ce qui porte à s’interroger sur la raison du maintien d’une telle disposition dans l’arsenal juridique, surtout au regard de ce qu’elle implique sur le plan des droits de l’homme.
Evidemment, c’est sur les 56 pays qui pratiquent effectivement la peine de mort que toute notre attention doit se focaliser. D’autant qu’il ne s’agit pas des moindres : la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et le Japon en faisant partie. Ponctuellement, nos concitoyens se mobilisent à la faveur d’un cas dont une personnalité ou les média s’emparent. Tout le monde a en tête l’histoire épouvantable de cette jeune iranienne condamnée à la lapidation pour un soit disant adultère. Mais pour une Sakineh, combien de personnes anonymes à travers le monde condamnées à mort à l’issue de procès iniques pour des infractions n’ayant même pas entrainé la mort ?
Le nombre total d’exécutions recensées est passé d’au moins 714 en 2009 à 527 en 2010 sans compter le nombre total d’exécutions en Chine.
C’est en continu, en profondeur, que nous devons agir ; et je salue ici le travail des associations et des bénévoles qui sans relâche mènent ce combat s’attachant à mobiliser les forces abolitionnistes internationales.
La commémoration qui nous réunit aujourd’hui doit être aussi une nouvelle prise de conscience. Prise de conscience de la manière dont il nous faut sans relâche réfléchir et travailler à une justice plus juste et plus humaine ce qui n’a rien d’antinomique avec l’efficacité.
Nous devons régulièrement nous interroger sur l’état de notre système pénal et pénitentiaire.
En effet, avec le recul que nous avons maintenant, il est possible de voir dans la loi de 1981 l’ouverture d’un vaste chantier qui nous occupe encore aujourd’hui : celui de l’adaptation et de la rénovation de notre système des peines.
Et il faut sans cesse revenir aux fondamentaux : notre arsenal de sanctions pénales remplit-il les trois fonctions assignées à la peine ? Autrement dit, dissuade-t-il et occasionne t’il une réflexion sur la faute ? Permet-il une juste réparation à la victime, enfin assure-t-il la réinsertion du condamné ? A l’évidence, pas toujours. C’est tout le problème posé par la récidive.
Les cas existent de condamnés qui, une fois remis en liberté, suite à l’aménagement de leur peine, ont de nouveau commis des crimes. C’est notre droit qui a autorisé cela pensant mieux permettre la réinsertion. Et c’est ce que l’opinion ne peut ni comprendre ni tolérer. Une opinion qui, de manière très intelligible, réclame alors au contraire un alourdissement des peines. Via notamment les peines de sureté.
Il faut poser la question : pour lutter contre la récidive, comment articuler aménagement des peines et répression accrue ? Il y a là deux logiques à priori antagonistes. Logique de prévention contre logique de sanction.
Peut-être que, finalement dans une majeure partie de cas, la réponse à ce qui semble une aporie n’est pas à trouver dans la politique pénale mais dans la politique carcérale. Parce que, trop souvent, si l’on aménage c’est parce que l’institution pénitentiaire n’a plus les moyens de continuer d’accueillir dans de bonnes conditions.
La situation est connue et régulièrement dénoncée par la cour européenne de droits de l’Homme. Elle est très préoccupante. Au 1er janvier 2011, nous disposions d’environ 56 000 places de prison pour plus de 60 000 détenus. Malgré depuis quelques années des plans de rattrapage, la surpopulation des prisons est à certains endroits un phénomène persistant tout comme les conditions de détention encore trop souvent mauvaises dans des établissements trop souvent vétustes. Malgré le professionnalisme de l’administration pénitentiaire qui exerce là un métier difficile pour beaucoup, le mal-être en prison devient vite intolérable. Depuis 1991, le nombre de suicides en prison ne cesse d’augmenter. Il est sept fois plus élevé qu’à l’extérieur.
Ce qui peut sembler un paradoxe. Nous avons aboli la peine capitale en France, mais notre système carcéral accule des détenus au suicide. Comme si subsistait dans notre pays une peine de mort de fait. Comme si, au sujet de la peine capitale, pardonnez moi peut être cet excès il fallait distinguer pays légal et pays réel.
Commémorer l’abolition de la peine capitale en France revient donc, aujourd’hui, non pas à nous autosatisfaire des avancées législatives de la France mais au contraire à d’une prise de conscience accélérée des chantiers qu’il reste à mener et ceci au nom de la dignité de l’Homme qui doit rester au fonds la seule raison de notre engagement politique à tous.
Pour conclure sur la peine capitale j’aimerais partager avec vous cette phrase de Victor Hugo, l’auteur du Dernier jour d’un condamné dont l’esprit plane encore sur cette maison, qui écrivit dans les Misérables « On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort … tant qu’on n’a pas vu une guillotine ; mais si l’on en rencontre une … il faut se décider et prendre parti pour ou contre. »
Je me félicite aujourd’hui au nom de mon groupe, monsieur le Ministre Badinter, que sous vote impulsion, la France il y a 30 ans ait choisit d’être définitivement contre.
Merci de votre attention.
Seul le prononcé fait foi