Le budget 2014 du ministère de la culture et de la communication :
un pilotage à vue en basses eaux
Cette année encore, en refusant globalement le volet des recettes du projet de loi de finances, le Sénat n’aura pas à débattre des dépenses. Car c’est la réalité même des politiques conduites par les différents ministères qui est contestée …
Et notamment dans les secteurs de la culture et de la communication Or une chose est claire, il apparait bien que par delà les déclarations de principe, les multiples colloques et commissions, la politique culturelle n’entre plus dans les préoccupations de la majorité actuelle : au regard de la jeunesse, de l’emploi, de l’attractivité de nos territoires, on ne peut que le regretter.
En effet quelques soient les chiffres ou les artifices de présentation on constate bien une baisse significative des moyens budgétaires, tant pour la culture que pour la communication de toute façon aujourd’hui étroitement liées l’une à l’autre. En période de crise, et face aux nécessités de lutte contre les déficits publics, cela peut, peut être, se comprendre. Mais soulignons tout de même la modicité relative des sommes en jeu , au regard des enjeux de développement qui sont en cause … et des promesses de la majorité.
La ministre avait dès son arrivée en 2012 fait connaître les projets auxquels elle renonçait. Il conviendrait maintenant que l’on puisse y voir clair quant aux perspectives d’évolution, et à la politique qu’elle entend conduire. Tant dans le domaine de la culture que dans celui de la communication, le ministère ne peut se contenter d’être simple comptable passif des orientations qui lui sont imposées par le ministère du budget.
Ce projet de budget, en effet, appelle plusieurs remarques ou questions :
1° Il est indiqué que l’essentiel de l’effort sera supporté par les grands établissements publics et opérateurs de l’État. Sans doute certains de ceux-ci ont ils pu se constituer des fonds de roulement importants, et d’autres peuvent veiller à réduire leurs charges de structure, mais on aimerait pouvoir y voir clair quant à savoir comment les choix sont effectués en la matière. Force est bien de constater que dans bien des cas se sont les projets culturels eux-mêmes qui sont menacés, parfois aussi le caractère innovant ou risqué qu’ils peuvent revêtir et qui justifie la mission qui est la leur. Et ce d’autant plus qu’ils auront encore à supporter un gel massif (7%) de leurs dotations. Citons par exemple l’arrêt pur et simple de l’expérience du centre Pompidou mobile qui avait rencontré un vif succès …
2° S’agissant du patrimoine si on se réfère aux chiffres du BOP 175 (hors dépenses fiscales) pour 2012, la situation est claire : on passe d’un total de crédit de paiements de 820,6 M€ à 746,2 M€, soit une baisse de 9 % en deux ans ; pour le seul patrimoine monumental, les monuments historiques donc, on passe de 380,7 M€ à 332,1 M€, soit une baisse de 12,8 %. Au moment où le secteur du bâtiment souffre et où le gouvernement tente de relancer des dispositifs divers d’emplois aidés, où en est la considération de la contribution que son entretien, sa restauration, sa valorisation apportent à l’emploi et notamment à l’emploi qualifié ?
3° S’agissant du secteur de la création, et en prenant les mêmes référence sur le BOP 131, on passe ainsi de 787,9 M€ en 2012 (dont 718,9 pour le spectacle vivant) à 746,5 M€ en 2014 (dont 683,1 pour le spectacle vivant), soit une baisse globale de 5,3%. Là encore on ne peut que comprendre l’inquiétude des professionnels : leurs activités s’inscrivent dans la durée avec des horizons qui peuvent atteindre 2 voire 3 ans, les financements publiques baissent, les jeux de gels, de dégels, de redéploiements rendent toute prévisibilité des plus aléatoire, les recettes tirées de l’exploitation des productions sont elles aussi en baisse, tandis que les charges de structures et les charges sociales, elles continuent de progresser. C’est évidemment aussi le cas pour les FRAC qui entrent maintenant dans des bâtiments neufs et dont les frais de structure vont ainsi absorber l’augmentation prévue des crédits. L’ensemble de ce secteur se trouve ainsi devant la perspective d’une crise grave dès lors que l’ État ne semble pas en mesure de dessiner les contours de son intervention. Nos jeunes créateurs-metteurs en scène les plus brillants l’ont d’ailleurs bien compris, qui marquent leur refus d’assumer la direction des lieux institutionnels que le ministère leur propose. Où en est le projet maintes fois promis de loi d’orientation sur le spectacle ? Que contiendra-t-il ? Comment sera-t-il articulé avec les projets relatifs à la décentralisation, notamment au regard du retour proclamé à la clause de compétence générale ?
4° Sur l’ensemble regroupé au sein du BOP « transmission des savoir et démocratisation culturelle », on passe d’un montant de crédits de paiement inscrit en 2012 de 1.073,8 M€ à 1.089,3 €, une légère augmentation donc de 1,4% … mais la répartition de ces crédits entre les quatre actions regroupées n’est pas sans soulever de réelles questions. De fait les crédits consacrés à l’enseignement supérieur progressent bien de près de 10%, marquant ainsi l’accroissement, o combien nécessaire, de l’implication du ministère dans dans ce secteur, qu’il a trop longtemps négligé et dont il se doit d’accompagner les réformes, en lien sur place avec les universités. En revanche on constate l’accélération de l’érosion des moyens consacrés à l’action culturelle internationale ( de 9 à 6 M€ !), sans que l’on puisse d’ailleurs être bien sûr que le relai soit pris de manière efficace par le ministère des affaires étrangères, ni que l’on puisse y voir clair quant au suivi des réformes touchant les réseaux culturels à l’étranger, et notamment « culture-France ». Et par ailleurs les moyens consacrés au fonctionnement du ministère sont encore en légère augmentation …
5° C’est donc essentiellement sur ce qui semble apparaître comme la priorité affichée par la ministre, qu’il faut se pencher, soit au sein du BOP 224 les lignes « éducation artistique et culturelles », « établissement d’enseignement spécialisé » et « action en faveur de l’accès à la culture », puisque c’est là que l’on devrait pouvoir lire ce qui concerne les jeunes, les formes émergentes, les nouveaux acteurs, etc … En 2012 ces lignes totalisaient 104,9 M€, pour 2014 on arrive à un total de 93,9 M€ ( la part de ces lignes dans le total des 3 budgets de programme passe ainsi de 3,8 à 3,6%…). On notera d’abord la disparition pure et simple de la ligne relative aux actions en faveur de l’accès à la culture, qui pourtant, dans les DRAC notamment, servait bien à accompagner, même parfois de manière modeste en milieu rural ou dans les quartiers difficiles les initiatives et les projets émergents : on voit donc ainsi s’organiser le repli du ministère sur son strict champ institutionnel, et disparaître ses capacités d’accompagnement des formes d’innovation dont le terrain peut être porteur , et qui sont donc laissées aux établissements plus institutionnels, dont ce n’est pas forcément la mission et qui de toute façon voient diminuer leurs marges. Enfin si de fait le soutien à l’éducation artistique augment de manière significative, passant de 31,9 M€ à 78,9 M€ , donc tout en restant tout de même à un niveau réel modeste, cela se fait au détriment du soutien aux établissements d’enseignement spécialisé (qui passe de 29,2 à 15 M€). Ce mouvement appelle évidemment deux critiques fondamentales : La première s’agissant du soutien à l’éducation artistique et culturelle, dès lors que le gouvernement a fait de la réforme des rythmes scolaire un axe majeur de sa politique éducative, on aurait attendu la définition d’une vraie politique de la part du ministère de la culture, visant à définir ce qui pouvait être vraiment proposé aux jeunes par les diverse La deuxième critique touche au contexte-même. Un contexte dans lequel on ne peut qu’être surpris de voir disparaître ainsi progressivement les quelques crédits qui permettaient d’assurer la mise en œuvre de la loi de décentralisation de 2004 sur l’enseignement spécialisé. Cette loi a été expérimentée avec succès dans trois régions, il convient maintenant que son application soit généralisée rapidement ; ne serait il pas dès lors opportun de transférer ces quelques crédits, au plus vite aux régions ? Certes nous comprenons bien que l’État puisse décider de concentrer son action sur les enseignements supérieurs et professionnels, mais face à la réforme des rythmes scolaires n’est il pas aussi urgent d’engager enfin, avec les collectivités locales, régions et communautés de communes notamment, la mutation nécessaire de l’enseignement spécialisé, portant sur la diversification et la nature des enseignements offerts, et surtout sur les moyens humains et la formation des personnels permettant d’ offrir aux jeunes des conditions d’accueil professionnel adaptées ?
6° Sur l’ensemble de la mission » médias, livre et industries culturelles », les crédits de paiements prévus (sans tenir compte de l’aller-retour budgétaire subi pour les crédits du transport postal) passent à 1.016,4 M€, contre 1.268,2 en 2012 soit en réalité une baisse de 20 %, qui vient ainsi s’ajouter aux incertitudes qui pèsent sur le produit de la redevance inscrite au compte de concours financier « avances à l’audiovisuel public » Quant au CNC, si ces recettes sont prévues stables à 700 M€, il subit une nouvelle ponction de 90 € sur son fonds de roulement ; dont seulement 20 M€ iront abonder les ressources de l’IFCIC. Certes, la ministre a pu annoncer le retour au taux réduit de la TVA sur les places de cinéma, ce qui d’ailleurs ne contribue pas vraiment à clarifier la situation de la fiscalité sur les biens culturels, mais surtout on voit mal ce qui dans ce projet de budget permet d’accompagner les mutations profondes qui sont encore devant nous : comment par delà l’annonce d’une réforme du fonds stratégique pour le développement de la presse, accompagner les mutations de la presse et de l’ensemble de ses professions, du papier, qui sans doute conservera une place, vers le numérique dont le poids ne peut que croitre ? Comment intégrer l’offre audiovisuelle publique et privée dans le développement prochain des divers services connectés ou « en ligne » ? Comment assurer dans ce contexte nouveau le financement d’une production de programmes audiovisuels et d’une information pluralistes et de qualité ?
A toutes ces questions ce projet de budget n’apporte aucun élément de réponse. Pas plus d’ailleurs que s’agissant de la transition numérique, qui suppose la mise en place d’ une régulation, dont les missions et les moyens soient clairement définis , qui suppose aussi le développement de programmes de numérisation susceptibles de valoriser nos richesses culturelles, d’apporter dans la durée, aux industries culturelles l’offre légale et les contenus dont elles ont besoin.
Ce projet de budget permet donc de tirer le bilan de l’action du gouvernement dans les secteurs de la culture et de la communication. On est loin des objectifs traditionnels de la gauche : un budget protégé, un objectif de 1%, etc …
Mais surtout, même dans les domaines réputés prioritaires : l’action à destination des jeunes et la transition numérique, le ministère apparait bien inscrit dans une réelle dérive bureaucratique, noyé dans ses propres procédures, coupé des réalités du terrain, sans perspectives ni orientations politiques claires, condamné à gérer vaille que vaille la pénurie. Comment peut il aujourd’hui, aux côtés de collectivités locales, repenser son action, apporter aux professionnels les conseils et l’accompagnement qu’ils attendent ? Comment peut il effectivement aider à inscrire l’ensemble du monde de la culture dans la révolution numérique, notamment en suivant les pistes ouvertes par le rapport Lescure ?
Ce sont les réponses à ces questions dont on cherche en vain la trace …