Ci-dessous l’intervention que j’ai faite sur ce projet de loi en séance publique le 8 juillet :
« Monsieur le Président,
Madame le ministre d’Etat,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Nous sommes aujourd’hui réunis pour mener à bien, je l’espère, la dernière étape d’un processus législatif long et pour le moins mouvementé.
Après avoir donné lieu à un événement rare, à savoir le rejet par l’Assemblée nationale d’un texte issu d’une commission mixte paritaire, le projet de loi « création sur internet » devait finalement être censuré partiellement par le Conseil constitutionnel. J’avais évoqué lors du débat à l’issue de la CMP les réserves que plusieurs membres de notre groupe avaient sur certains aspects du projet. J’avais également souligné qu’il fallait rester humble dans le traitement de ce sujet complexe, sensible et évolutif.
Cette décision des sages du Palais royal n’a pas remis en question ce qui à toujours été pour le groupe centriste l’essentiel du texte, à savoir son volet pédagogique et préventif, aspect qui faisait défaut à la loi DADVSI. La décision des sages nous permet d’affiner le délicat équilibre à atteindre, respectueux des parties. En effet, la loi création sur internet a bien été promulguée le 12 juin 2009, marquant ainsi l’entrée en vigueur des premiers stades de la riposte graduée. Pour le volet répressif, dernier échelon de la riposte graduée, un nouveau texte était donc nécessaire, afin de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.
Le nouveau projet de loi que nous examinons aujourd’hui corrige le principal grief formulé à l’encontre du texte création sur internet : la décision de suspension de l’abonnement en cas de téléchargement illégal d’œuvres protégées ne peut être du ressort d’une autorité administrative indépendante et doit nécessairement être prononcé par un magistrat.
Le présent projet de loi instaure donc une nouvelle procédure au sein de laquelle la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet joue toujours un rôle central, puisqu’elle sera toujours chargée de rassembler l’ensemble des éléments qui seront fournit au juge afin qu’il puisse rendre sa décision.
Mais ce sera bien un juge, et non plus la HADOPI, qui pourra prononcer une coupure de l’abonnement internet. Celle-ci pourra être décidée pour une durée maximale d’un an en cas de délit de contrefaçon et de 1 mois maximum s’il s’agit d’un manquement à l’obligation de surveillance de l’accès internet. Cette intervention d’un magistrat judiciaire permettra de renforcer la légitimité de cette décision de suspension, et garantira une impartialité et une indépendance supérieure. Sur le fond, même si la procédure que le projet de loi vise à instaurer devrait être rapide, je reste pour l’instant quelque peu dubitative sur l’applicabilité à long terme du dispositif et je redoute, je le répète, les risques de saturation de nos tribunaux. Mais peut être avez-vous, madame le ministre d’Etat, des précisions à nous apporter à cet égard.
Ces remarques étant faites, j’exprimerai ici deux regrets.
Tout d’abord, on peut regretter que le calendrier d’examen de ce texte nous ait dans l’impossibilité matérielle d’organiser des auditions au sein des différents groupes de notre Haute assemblée. J’aurais souhaité, par exemple, pouvoir interroger des magistrats ou d’autres praticiens du droit afin de mieux mesurer l’impact de la nouvelle procédure. En effet, nous n’avons que trop peu de temps pour analyser les enjeux de ce texte.
Ensuite, on peut aussi regretter, étant donnée la nature de ce texte, que la commission des Lois de notre assemblée n’ait pas été saisie pour avis dans la mesure où il est défendu par madame de garde des Sceaux. Pour autant, il est logique que la commission de la culture de la communication et de l’éducation ait un droit de suite sur l’examen du texte.
Les débats « passionnés et chaotiques », pour reprendre les termes de notre collègue Michel THIOLLIERE dans son rapport, autour de ce projet de loi et du projet de loi HADOPI, aussi bien au sein de nos deux assemblées, que dans l’opinion publique, ont montré à quel point ces sujets sont particulièrement sensibles.
Notre groupe, je l’ai déjà dit, a toujours montré son attachement à la prévention et à un système mesuré de graduation des sanctions.
Le système de riposte graduée avec suspension de l’accès internet n’est pas, il faut le rappeler, une exception française. La seule particularité de la France aujourd’hui est d’avoir confié à une autorité publique indépendante le soin de mettre en œuvre une politique d’avertissements préalables alors que celle-ci est prise en charge, dans les autres pays, par les fournisseurs d’accès à Internet dans un cadre purement contractuel. L’étude d’impact du projet de loi que nous examinons cite d’ailleurs plusieurs exemples d’autres pays qui viennent d’adopter des procédures similaires comme l’Irlande, la Corée du Sud ou encore Taïwan.
Nous sommes conscients que cette loi, dans le prolongement de celle du 12 juin dernier, ne règle pas définitivement la question du téléchargement illégal : ce dernier sera, je l’espère, fortement limité mais non éradiqué, nous en sommes tous je crois conscients. Et la question du piratage numérique en général reste posée. Car nous le savons, les technologies évolueront toujours plus vite que le droit. Il faudra sans doute s’adapter et le législateur devra, à la lumière des travaux de la HADOPI qui est chargé de veiller aussi bien à limiter les mauvaises pratiques qu’à susciter les bonnes, réfléchir à des améliorations, voire à des évolutions futures.
Il existe déjà des lieux d’observation, sur lesquels il faut s’appuyer, et qui pourront alimenter la réflexion, comme par exemple l’observation de l’offre de vidéo à la demande mis en place depuis 2005 par le Centre National de la Cinématographie. Cette initiative innovante permet de contribuer à l’analyse des tendances du marché, des comportements et à alimenter les échanges entres les professionnels.
Je pense ainsi que nous devrons continuer et encore approfondir le débat, notamment aussi autour de la manière dont les droits de propriété intellectuelle peuvent être garantis, et prennent en compte les évolutions autour de l’économie de la diffusion culturelle sur les nouveaux supports. Il est nécessaire de réfléchir aux nouvelles réponses à apporter aux auteurs et à l’ensemble des acteurs du monde culturel si la piraterie devait perdurer, ce que je ne souhaite pas, naturellement. Bien entendu, il ne saurait être question de remettre en cause la juste rémunération due aux auteurs, aux créateurs et le financement de la création. La loi HAOPI a ouvert de nouvelles pistes et celles-ci doivent continuer à être explorées. Cette réflexion pourrait, par exemple, prendre la forme d’une table ronde autour de laquelle seraient réunis l’ensemble des acteurs culturels et économiques concernés notamment de la diffusion numérique, ainsi que des parlementaires.
On peut regretter le retard qui a été pris dans la mise en place de la riposte gradée quand connait l’urgence de trouver une réponse plus adaptée, d’une part, afin d’apporter une réponse aux artistes et aux créateurs face au développement du téléchargement illégal. Il faut rappeler que l’on estime à environ un milliard le nombre de fichiers d’œuvres illégalement échangés en France chaque année. Ce phénomène d’atteinte massive aux droits de propriété intellectuelle et à la création met chaque jour un peu plus en péril les industries culturelles, musicales et cinématographiques. Et il ne s’agit pas, contrairement à ce qu’ont pu entendre, d’enrichir les grandes majors. Il s’agit surtout d’enrayer la destruction massive d’emplois que génère ce phénomène. En effet, on estime à près de 5 000 le nombre d’emplois détruits du fait du piratage numérique en 2007. Au cours des 5 dernières années, on évalue à 30% la baisse de l’emploi dans les maisons de production, sachant qu’il s’agit très majoritairement de petites structures de moins de 20 salariés. Sur un autre plan, le préjudice pour les comptes de l’Etat s’élève à près de 200 million d’euros par ans !
Sachant cela, s’il faut en effet garantir les libertés individuelles et la libre communication, on ne peut pas laisser dire certains qu’encadrer l’utilisation des œuvres pourrait être liberticide.
L’essentiel est que cette loi, qui ne sera certainement que transitoire, soit une étape importante dans une prise de conscience collective.
Une prise de conscience de la part des internautes tout d’abord : il est indispensable de faire passer un double message clair : la culture a un coût, des milliers de nos concitoyens vivent de ce secteur et les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés. A quoi bon multiplier les canaux de diffusion si, à terme, la diversité des contenus disparait ? Si les contenus étrangers deviennent prédominants et que la création française a été asséchée ?
Une prise de conscience également de la part des créateurs. En effet, ils doivent eux aussi, être force de proposition, et chercher à trouver de nouveaux modèles économiques plus adaptés à l’ère du net. Cette nouvelle loi, sur laquelle ils comptent beaucoup, ne résoudra pas tous les problèmes. Il faut aussi qu’ils se rendent compte des évolutions et que le phénomène « Internet » n’est pas temporaire mais qu’il est aujourd’hui une réalité durable qu’il faut transformer en atout plus qu’à chercher à le combattre.
Pour finir, je tenais à revenir sur les avancées obtenues grâce à l’adoption en commission de plusieurs amendements de notre rapporteur.
Ces amendements visent à renforcer la « portée dissuasive et pédagogique » du dispositif mise en place par le texte, ainsi qu’à garantir les droits des internautes.
Tout d’abord, le projet de loi prévoit maintenant que les abonnés seront informés des sanctions encourues dans les contrats passés avec leurs fournisseurs d’accès à Internet, et dans les messages d’avertissement envoyés par la Haute autorité.
Ensuite, la sanction de suspension de l’accès à Internet ne sera pas inscrite au casier judiciaire. Les condamnations ne seront inscrites qu’au bulletin n° 1 du casier judiciaire, accessible aux seules autorités judiciaires. Elles ne seront ni dans le bulletin n° 2, accessible aux administrations, ni dans le bulletin n° 3, que l’intéressé peut demander pour communiquer à son employeur.
Introduite par la loi « DADVSI » de 2006, l’obligation de surveillance de l’accès à Internet par l’abonné a été rappelée par la loi du 12 juin 2009. Le manquement à cette obligation sert désormais de fondement juridique au dispositif pédagogique d’avertissement mis en oeuvre par la HADOPI.
Afin de souligner clairement l’indépendance des deux voies administratives (dans le cadre de la HADOPI) et pénales (avec le délit de contrefaçon), je me félicite qu’un amendement ait permis de bien préciser que le manquement à cette obligation de surveillance n’aurait pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’abonné.
Enfin, la haute autorité devra détruire les données personnelles de l’internaute sanctionné une fois son accès à internet rétabli.
L’ensemble de ces amendements permet à la fois de renforcer le caractère pédagogique et dissuasif du dispositif, mais aussi de mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels.
Aussi, avant de conclure, je tiens à saluer le travail de chacun, et notamment celui réalisé par le rapporteur.
Une majorité du groupe de l’Union centriste votera ce texte.
En conclusion, je voudrais dire qu’il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est de garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est Internet. C’est un espace qui, comme tout espace de vie partagé, doit malgré tout respecter un certain nombre de valeurs fondatrices de notre République, qui garantissent le vivre ensemble, le respect de l’autre ainsi que les droits et devoirs de chacun. »