Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues,
Ces dernières années, l’évolution du transport maritime international, et plus particulièrement la forte expansion du trafic par conteneurs, a substantiellement modifié le paysage portuaire européen. Par ailleurs, l’élargissement de l’Union européenne déplace les flux de marchandises vers le centre de l’Europe.
Par sa position géographique et son histoire, la France dispose dans le domaine portuaire d’atouts non négligeables, sur ses façades occidentale comme méridionale. Pourtant, les principaux ports français ont continué de perdre des parts de marché, plus particulièrement dans le trafic de conteneurs.
De fait, si la France veut occuper une place significative dans les trafics de conteneurs au niveau européen, voire maintenir une économie portuaire riche directement ou indirectement en emplois, elle doit surmonter des handicaps qui lui sont propres et remplir un certain nombre de conditions, toutes nécessaires, aucune n’étant suffisante par elle-même. Il s’agit, en particulier : de la répartition nette entre ce qui est de la responsabilité de l’État et ce qui relève de la compétence des établissements portuaires ; de l’existence de grands terminaux capables de « traiter » une masse croissante de trafic dans un temps de plus en plus court ; de l’organisation de ces terminaux visant à conférer aux ports autonomes la charge des infrastructures et de la régulation de la place et à confier l’exploitation de ces dernières aux entreprises, comme c’est le cas des autres grands ports européens ; enfin, des dessertes performantes, notamment en matière ferroviaire et fluviale.
C’est dire s’il est urgent de réformer notre organisation portuaire, en particulier celle de nos ports autonomes. Depuis la loi de 1992, qui a constitué une première étape, comme l’ont rappelé les intervenants précédents, les avant-projets de loi de modernisation élaborés en 2001, puis en 2003, n’ont pas abouti. Nous sommes actuellement dans la situation paradoxale où, avec des atouts géographiques considérables, les ports français n’occupent plus une place maîtresse dans les flux commerciaux à destination de notre territoire national.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en urgence apporte des réponses structurelles, qui me paraissent aptes à restaurer la compétitivité des ports français.
Tout d’abord, le projet de loi recentre les ports sur leurs missions de nature régalienne, ainsi que sur les missions d’aménageur et de gestionnaire de leur domaine, dont ils seront désormais propriétaires de plein droit. Ils pourront ainsi assurer une meilleure gestion de ce domaine et pourront mieux planifier le développement des infrastructures portuaires.
En outre, chaque grand port maritime s’inscrira plus clairement dans le développement de son territoire et pourra harmoniser son développement avec celui de la collectivité sur le territoire de laquelle il est implanté. À titre d’exemple, citons l’agglomération rouennaise, où l’activité portuaire représente plus de 22 000 emplois directs, indirects et induits, 30 000 en comptant les sites de Port-Jérôme et de Honfleur. Le chiffre d’affaires lié aux opérations commerciales des entreprises portuaires sur le fret chargé et déchargé atteint près de 1 milliard d’euros par an, ce qui offre une illustration du fort impact de l’activité portuaire sur l’ensemble de cette agglomération.
À l’avenir, avec le projet stratégique que chaque port devra adopter, les spécificités locales seront mieux prises en compte et les externalités positives du port se multiplieront.
En vue du recentrage des compétences, ce projet de loi vise à instaurer sur les terminaux un commandement unique pour les activités de manutention. À l’heure actuelle, la coordination des équipes est source de problèmes, car les entreprises de manutention n’ont pas la pleine maîtrise de leur cœur de métiers : la manutention verticale est l’apanage des portiqueurs et grutiers, qui sont salariés de droit privé du port autonome, tandis que la manutention horizontale est confiée aux dockers, salariés des entreprises de manutention.
Le commandement unique améliorera l’organisation des équipes et leur efficacité. Il devrait en résulter, notamment, des progrès en termes de productivité et de développement de l’investissement privé dans les ports français.
Toutefois, il faudra faire preuve d’une grande pédagogie pour bien expliquer les enjeux de la réforme, tout comme les garde-fous qui l’accompagnent. Les personnels concernés ont le souci légitime d’obtenir des garanties quant à leur avenir ; ils doivent être rassurés sur leurs perspectives de carrière, ainsi que sur les possibilités de retour qui leur sont offertes. C’est notamment le rôle du groupe de travail sur le dialogue social, présidé par M. Cousquer. Nous constatons, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez souhaité donner toute sa place à la concertation avec les professionnels concernés.
Le projet de loi prévoit que les partenaires sociaux doivent parvenir à un accord-cadre pour le transfert de ces professionnels aux opérateurs de terminaux avant le 31 octobre 2008.
Dans l’hypothèse où ces négociations échoueraient, le projet de loi fixe également un cadre législatif qui permettrait de sortir de la crise actuelle et de restaurer la crédibilité des ports français par rapport à leurs concurrents européens. Il est nécessaire d’avancer, dans la concertation certes, mais rapidement, car le conflit social actuel a grandement fragilisé nombre d’opérateurs.
Le projet de loi vise, en outre, à réformer le mode de gouvernance des grands ports maritimes. À l’heure actuelle, les ports autonomes sont gérés par des conseils d’administration aux effectifs pléthoriques, ce qui dilue des responsabilités entre, d’une part, les représentants des professionnels et, d’autre part, les financeurs des ports, c’est-à-dire l’État et les collectivités territoriales, qui disposent de moins du tiers des voix au sein de ces instances.
Le texte prévoit de substituer à ces conseils une structure duale, comprenant un conseil de surveillance et un directoire, où l’État et les collectivités locales auront voix prépondérante, afin d’obtenir une meilleure réactivité des établissements portuaires et une distinction plus claire entre les missions stratégiques et de contrôle, d’une part, et la gestion courante de l’établissement, d’autre part.
Par ailleurs, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, le présent projet de loi prévoit également l’instauration d’un conseil de développement, afin de prendre en compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement des ports. C’est là un point important.
Autre mesure primordiale du projet de loi, la possibilité de créer un conseil de coordination entre certains ports. Depuis 2005, une expérimentation de coopération a été lancée entre certains ports autonomes.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples, que je connais particulièrement bien, puisqu’ils sont situés dans mon département, ceux des ports de Rouen et du Havre.
Les résultats de cette coopération restent encore limités, même si un code « de bonne conduite » vise à prévenir la redondance des investissements, une guerre tarifaire et les détournements de trafic entre ces établissements. Il a en outre permis la mise en commun des informations et l’élaboration de stratégies communes relatives à différents sujets techniques, tels que le dragage, les services de trafic maritime ou la logistique.
De nouvelles synergies peuvent apparaître avec la mise en service de Port 2000, sur le modèle des complémentarités développées entre Anvers et Rotterdam.
Ainsi, le port de Rouen ambitionne, avec un armateur, de compléter ses trafics Nord-Sud par le développement d’un trafic fluvial conteneurisé des flux Est-Ouest déchargés au Havre, en se positionnant comme une plate-forme logistique avancée du Havre et en offrant une desserte alternative à la voie routière, dans l’attente de la fiabilisation de la desserte fluviale de Port 2000.
Alors que le port du Havre investit de son côté dans des plates-formes logistiques, cet axe de développement devra s’inscrire dans le cadre d’une coopération renforcée entre les deux ports normands, comme le permet le projet de loi.
Toutefois, si cette réforme importante doit aboutir rapidement pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, il est indispensable de ne pas nous limiter à une réflexion sur la seule façade maritime.
Des ports modernes et compétitifs ne constituent qu’un des instruments d’une politique portuaire réussie. Il importe également de moderniser la desserte des ports. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, « la bataille maritime se gagne à terre ».
La concurrence s’exerce, en effet, entre chaînes de transport, dont les ports ne sont qu’un élément.
La compétitivité d’un port dépend non pas seulement de ses qualités nautiques, de ses installations et de l’efficacité de son exploitation, mais aussi de l’étendue de son arrière-pays, du coût et de la fiabilité de ses dessertes terrestres.
La part des transports terrestres dans le coût d’acheminement des marchandises de « bout en bout » est considérable. Ainsi, pour l’acheminement d’un conteneur entre Lyon et l’Asie, le préacheminement et le postacheminement par voie terrestre représentent le tiers du coût du transport.
Actuellement, le transport routier demeure largement prédominant dans la desserte des ports français. Il est cependant nécessaire d’adapter ces infrastructures aux besoins spécifiques des ports. Ainsi, à Rouen, 36 000 poids lourds, dont un grand nombre transportent des matières dangereuses, empruntent quotidiennement les voies de circulation de l’agglomération.
Monsieur le secrétaire d’État, en mars 2006, votre prédécesseur, M. Perben, avait annoncé un projet de contournement par l’Est de Rouen, le grand chantier devant débuter en 2008-2009. Ce contournement devrait contribuer, d’une part, au développement économique de Rouen et de son agglomération en favorisant la croissance et la création d’emplois résultant des activités industrielles et portuaires et, d’autre part, à l’amélioration de la qualité de vie grâce à la diminution des pollutions sonore et atmosphérique dues au trafic, des risques liés à l’insécurité routière et au transport de matières dangereuses en milieu urbain ou encore à la limitation de l’étalement urbain.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position actuelle du Gouvernement sur ce dossier et nous dire si le calendrier précédemment annoncé est maintenu ?
Toutefois, si les dessertes routières permettent de répondre de façon flexible aux besoins des ports autonomes, il est indéniable que les transports terrestres doivent intégrer les caractéristiques de massification pour desservir efficacement les conteneurs sur un hinterland de plus en plus vaste au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent.
Or les modes ferroviaire et fluvial dans le préacheminement et le postacheminement des ports français n’ont pas pu, à ce jour, remettre en cause la suprématie du transport routier. Au contraire, ces deux modes, dont la pertinence économique repose sur les flux massifiés, se sont montrés plus concurrents que complémentaires.
J’espère que le Grenelle de l’environnement et le projet de loi relatif à sa mise en œuvre conduiront à intensifier les investissements dans ces modes de transports.
Vous avez annoncé, parallèlement au présent projet de loi, un ambitieux plan d’investissement en faveur des ports. Pouvez-vous nous éclairer sur les actions que l’État entend mener pour développer le fret ferroviaire et, notamment, pour concrétiser le projet de diagonale Ecofret, qui permettrait de desservir Port 2000 au Havre ?
En conclusion, je tiens à féliciter notre collègue Charles Revet pour la qualité de son travail.
Il a contribué à éclairer nos réflexions sur ce sujet, ô combien important, de la réforme portuaire, que nous soutenons.