Retrouvez ci-après ma tribune sur l’acte 3 de la décentralisation, publiée dans le Paris-Normandie:
Depuis début mai, nous examinons au Sénat la nouvelle réforme de la décentralisation. Francois Hollande avait initialement évoqué une grande loi, après les lois Deferre de 1982 et les lois Raffarin de 2003-2004, un véritable acte III de la décentralisation. Cela permettait de minorer, voire d’ignorer volontairement, le travail réalisé par le gouvernement précédent avec la réforme du 16 décembre 2010. Loi certes largement perfectible mais qui a eu le mérite de s’attaquer à certaines pesanteurs de notre organisation administrative.
Ce nouvel acte de la décentralisation est hélas mort-né. Le gouvernement s’est heurté aux résistances des associations de collectivités, pourtant dirigées par ses propres amis politiques et a été obligé de revoir sa copie. Celle-ci est devenue quasiment incompréhensible. Le Président de la République avait annoncé vouloir simplifier le « mille-feuille »administratif, c’est au contraire un pudding encore un peu plus lourd et indigeste qui nous est proposé.
Ainsi donc, il ne s’agit plus d’une grande loi de décentralisation mais de trois lois : c’est le 1er de ces trois textes que nous examinons actuellement au Sénat. Il porte sur « La modernisation de l’action publique et territoriale et d’affirmation des métropoles ». Viendront par la suite les deux autres, relatifs à « La mobilisation des Régions pour la croissance et l’emploi et la promotion de l’égalité des territoires » pour l’un et au « Développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale » pour l’autre. On l’aura déjà compris, la simplification a fait long feu.
Ce saucissonnage de la réforme lui fait perdre toute cohérence et lisibilité. Il aurait fallu aborder les choses dans leur globalité même si cela supposait un texte assez long. J’y voyais deux avantages.
Premièrement, cela nous aurait permis de mieux appréhender les perspectives qui attendent chaque niveau de collectivités. Au lieu de quoi, le découpage en trois textes nous impose de travailler en ce moment sur le statut des métropoles et des grandes zones urbaines sans mener une réflexion corrélative, voire en faisant abstraction du sort réservé à nos territoires ruraux. C’est une erreur profonde dans la façon d’envisager la notion de territoire. Il y a une nécessaire et évidente complémentarité entre le secteur urbain et le secteur rural, c’est vrai en Seine-Maritime comme ailleurs .De même, légiferer pour permettre la constitution de métropoles aux compétences très élargies sans appréhender dans le même mouvement le devenir des autres niveaux de collectivités que sont les départements et les régions est une ineptie.
Deuxièmement, on se serait rendu compte du nouvel édifice incertain et tentaculaire que la loi est en train de construire ; cela aurait obligé le législateur à alléger son texte. Ici au contraire, on voit déjà poindre les difficultés : les incohérences auront encore la part belle car chaque projet de loi sera l’occasion de faire ajouter telle ou telle disposition afin de satisfaire à la demande de Pierre sans déshabiller Paul tout en ne mécontentant pas Jacques. Un exemple concret caractéristique : nous avons en Seine-Maritime un Comité Départemental du Tourisme financé par le Conseil Général, mais nous avons aussi en Haute-Normandie un Comité Régional du Tourisme (il est vrai et heureusement commun avec la Basse-Normandie) financé par le Conseil Régional ! Est-il réellement nécessaire de superposer les structures pour animer une même politique sur un même territoire ? Dans la période de crise que nous traversons, où il est nécessaire d’être particulièrement attentif à la qualité de la dépense publique, il fallait remettre à plat les interventions des uns et des autres afin de lutter contre ce type de doublons.
C’était à mon avis l’un des mérites du texte élaboré en 2010, qui prévoyait la création du conseiller territorial : une seule personne élue pour siéger au Département et à la Région. Il avait le mérite de clarifier les choses du point de vue du citoyen. Celui-ci aurait voté pour une seule et même personne le représentant aux Conseils général et régional, il aurait alors nettement mieux identifié son représentant. Et l’élu en question aurait mieux ciblé lesdits doublons pour y mettre fin et donc rendre l’action publique plus efficace et moins coûteuse. Au lieu de quoi, le gouvernement s’est empressé d’abroger le conseiller territorial, pour créer un scrutin binominal pour le département. Là où le gouvernement Fillon avait simplifié, le gouvernement Ayrault a choisi de compliquer en organisant le même jour l’élection de trois représentants (au lieu d’un). L’un ira à la Région et les 2 autres, élus sur le même canton, iront au Département. Quand on connaît la situation financière du Département de Seine-Maritime –plus d’un milliard de dettes-, il apparaît que cette réforme nous fait faire trois pas en arrière, là où la précédente nous faisait faire un pas en avant.
Pour le citoyen, quel que soit le niveau administratif, c’est toujours une sorte d’hydre à plusieurs têtes qu’il identifie comme étant l’Etat auquel il estime avoir affaire. Or, c’est bien là que le bât blesse : le gouvernement a encore ajouté quelques couches au mille-feuille en créant les conférences territoriales et le Haut Conseil au Territoire. Toujours plus de structures pour s’éloigner encore un peu plus du citoyen.
De ce point de vue, il est étonnant que le gouvernement ne conçoive la décentralisation que de façon désincarnée. J’en veux pour preuve la question des métropoles. Le critère retenu pour accéder à ce statut est uniquement démographique (450 000 habitants). Là aussi, c’est une aberration qui démontre le défaut de vision. L’ensemble métropolitain doit avant tout répondre à une logique de projet plutôt qu’à un seuil de population. Ce qui fait sens dans la constitution d’une métropole, c’est le projet de développement qui peut y être mené suivant la configuration socio-économique du territoire, sa capacité à rayonner à l’international notamment au niveau européen du fait de son positionnement géographique et de la présence d’infrastructures importantes, c’est encore la possibilité de mener une politique d’aménagement global du territoire par la présence d’axes de communication d’importance, de grandes entreprises, d’universités et de grandes écoles. Je tire bien évidemment cette réflexion de la réalité territoriale qui est la nôtre en Seine-Maritime, à Rouen, positionnée en lien avec Le Havre , au cœur du grand et ambitieux projet de l’axe Seine lancé sous la mandature précédente .Bref si la démographie est un élément à prendre en compte afin qu’une masse critique suffisante soit atteinte, il apparaît qu’une réforme de la décentralisation qui sait où elle va et quels objectifs elle poursuit doit dépasser cette seule vision arythmétique
Finalement, on se rend compte que pour mener à bien une réforme de cette ampleur, il faut une vision et du courage. La vision qui permet de fixer un cap et le courage qui permet de le tenir. Le courage d’affirmer que la décentralisation doit d’abord servir des femmes et des hommes avant d’être un enchevêtrement de structures incompréhensibles. C’est en partant de ce constat que nous donnerons un nouveau souffle à notre République décentralisée.
Localement, c’est en affichant une nouvelle ambition et un nouveau mode de gouvernance pour Rouen et son agglomération que nous pourrons faire porter la voix de la capitale normande dans le concert des métropoles. Il nous faut doter notre agglomération d’un maximum d’atouts pour son avenir.