Veuillez trouver ci-dessous l’intervention que j’ai prononcée cet après-midi à l’occasion du vote solennel sur le Projet de Loi Pour une République Numérique.
« Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame et Messieurs les Rapporteurs,
Mes cher(e)s collègues,
Chers Internautes,
Le Numérique méritait un texte de loi dédié à ses nombreux enjeux. Le présent texte était donc attendu.
Dans son élaboration, on peut se réjouir de la méthode utilisée par le gouvernement, qui a su prendre en compte l’avis d’institutions comme le Conseil National du Numérique, la Commission Nationale Informatique et Libertés ou encore l’ARCEP.
Certains travaux du Sénat ont également été, on l’a observé, des outils de réflexion déterminants, comme le rapport de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Corinne Bouchoux sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques ou encore celui que j’ai rendu en 2014 au nom de la mission commune d’information sur le « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet ».
Par ailleurs, l’élargissement de la consultation aux internautes a été une très bonne initiative. Le Numérique appelait à ce type de démarche et, comme souligné lors de nos débats, il est souhaitable qu’à l’avenir cette expérience soit reconduite pour d’autres textes..
Au demeurant, le groupe UDI-UC regrette l’utilisation -une fois de plus- de la procédure d’urgence, pour ce texte là, peut-être encore plus qu’un autre, de par son caractère éminemment technique, de par ses enjeux complexes et essentiels pour le devenir de nos sociétés.
Ceci étant, nos débats ont été riches, des dispositions utiles ont été adoptées autour de la reconnaissance d’un certain nombre de droits du consommateur sur Internet:
-sur une plus grande ouverture des données publiques,
-quant à la protection de la vie privée
-ou encore sur le droit à l’accès égal au Haut-Débit dans nos territoires.
Le Sénat a ainsi adopté les amendements proposés par la Commission du développement durable pour une meilleure couverture du territoire, ce dont nous nous félicitons. Encore faut-il que cela se traduise concrètement, comme rappelé par le Président Hervé MAUREY lors de nos débats.
Des équilibres difficiles ont du être trouvés : je citerais pour exemple la question de l’ouverture des données scientifiques et de la liberté de panorama. Je salue le travail de ma collègue Mme MELOT, rapporteure au nom de la commission de la Culture, tout comme je salue le travail de nos collègues rapporteurs Christophe-André FRASSA, Bruno SIDO et de Patrick CHAIZE.
Au demeurant, ce texte reste insuffisant car, je l’ai déjà déploré lors de la discussion générale, il a été vidé d’une partie de sa substance par d’autres projets de loi antérieurs ou promis à l’agenda gouvernemental.
C’est éminemment regrettable car les enjeux liés à la mutation numérique –sociaux, économiques, politiques, juridiques- nécessitent une approche globale et coordonnée que justifie pleinement le mode de fonctionnement du Numérique. L’approche faite par les usages, par laquelle on peut résumer le texte, manque ainsi d’envergure politique.
L’Internet est devenu un terrain d’affrontement mondial, les questions de cybersécurité, d’intelligence économique, de protection des libertés individuelles sont prégnantes.
Cela renvoie à la question de notre souveraineté, non pas pour que nous nous refermions sur nous-mêmes, mais pour que nous soyons pleinement acteurs du cyberespace.
Alors que l’Union européenne tente de dégager le surplus de croissance que laisse espérer le Numérique, le gouvernement devrait développer une approche plus stratégique et politique, comme l’ont fait d’autres pays comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou même l’Allemagne.
Cela a été le sens de nos amendements, comme celui sur la nécessité d’un Haut-Commissariat au Numérique ou celui relatif aux marchés publics numériques, qui n’ont pas été adoptés. Je le regrette.
Du Haut-Commissariat au Numérique, je vous en rappelle les missions qu’il aurait été essentiel de retenir: une meilleure coordination interministérielle des actions technologiques au sein de l’État, de veiller à la cohérence des stratégies et des outils mis en place par les administrations, de favoriser une meilleure diffusion des savoir-faire stratégiques et de participer aux négociations européennes et internationales portant sur les normes et sur la gouvernance des technologies.
Aujourd’hui, la dispersion des responsabilités et des expertises est préjudiciable. On ne peut pas se contenter de la mainmise américaine -ou du risque de mainmise- sur nos données publiques les plus sensibles. Or, en confiant celles-ci à l’aveugle à l’occasion d’attribution de marchés publics à des entreprises comme Cisco ou Palantir -d’ailleurs Mme La Ministre, vous n’avez toujours pas répondu à ma question écrite sur le sujet- dont les connexions avec les services de renseignement américains sont avérées, on se fragilise. De même qu’il est choquant que l’Education nationale ait contractualisé avec Microsoft, sans appel d’offre.
Une véritable prise de conscience doit donc s’opérer au sein de l’Etat français et de ses administrations. A cet égard, nous avons eu un débat très intéressant sur les logiciels libres.
Plus largement, il s’agit de ne pas favoriser les positions dominantes en choisissant par défaut de grands prestataires ou solutions commerciales très répandues, dans le cadre comme hors procédure de marché public. Je pense au moteur de recherche QWANT, acteur européen très innovant, respectueux de la vie privée et de notre législation en générale, qui peine à émerger dans le parc informatique public face au géant Google. Là encore, il s’agit aussi pour la France et l’Europe d’avoir une ambition et une stratégie industrielle forte.
Je ne me réjouis pas, il y a quelques jours, du rachat de Withing, fabriquant des objets connectés liés à la santé, par NOKIA, donc ALCATEL. Une fois de plus, à défaut d’un schéma de développement français été européen du numérique, c’est une de nos pépites nous échappe, c’est un pilotage industriel et financier qui se fera encore depuis la Californie.
Dans ce contexte, pour que nos entreprises puissent assurer leur existence numérique, je suis satisfaite que certains de mes amendements aient été adoptés, notamment celui donnant une définition légale des moteurs de recherche, accompagnée d’un renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la Concurrence en cas d’abus de position dominante.
Une disposition qui ne va nullement à l’encontre des nécessaires initiatives européennes en cours- mais toujours très longues- relatives au droit de la concurrence.
Ces questions, mes chers collègues, sont essentielles et ce sera ma conclusion car après le Web 3.0 ou l’internet des objets, qui va contribuer à faire circuler toujours plus de données liées à nos vies et très sérieusement à nos infrastructures essentielles, arrive le web 4.0 ou web généticiel, celui qui s’intéresse aux données de notre corps et de notre ADN. Il y a là de vraies interrogations sur le traitement spécifique de ces données, de même que celles que suscitent les apôtres du transhumanisme, de l’intelligence artificielle et de la réalité augmentée appliquée à l’homme…
Comme l’a dit Joël de Rosnay, « L’internet c’est nous, en bien comme en mal ». Aussi, prenons la peine de définir ce que nous considérons comme les conditions et les critères du développement humain. Un texte comme celui-ci qui est une somme de dispositions essentiellement techniques doit être mis en lumière par une réflexion plus large sur la place réservée à l’Homme et sur la construction d’un environnement qui est propice à son épanouissement. La technologie pour la technologie et la progrès pour le progrès ne peuvent pas être considérés comme des fins en soi.
Sachant que c’est également au niveau européen que cette question du numérique doit être appréhendée, c’est également la voix que la France doit porter. Sans fatalisme mais sans angélisme non plus.
Forts de ces réflexions, les élus du groupe UDI-UC voteront ce texte dont nous partageons l’esprit et les objectifs fondamentaux.
Je vous remercie. »