Débat sur la réforme des lycées

Je suis intervenue ce mercredi 21 octobre au Sénat dans le cadre de la réforme des lycées. Voici l’intégralité de mon intervention :

« Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

Au centre, la première de nos ambitions est de replacer l’homme au cœur de tout projet. Aussi, si nous ne devions conserver qu’une seule idée, nous choisirions l’investissement dans la formation, le progrès des connaissances, la culture. Ce débat sur le lycée est donc le bienvenu et je remercie M. le président de la commission, Jacques Legendre, d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour.

Le lycée, haute institution bicentenaire, a connu une démocratisation constante, comme en témoigne l’évolution du nombre de bacheliers depuis 1931. Pourtant, en termes qualitatifs, la portée de cette démocratisation est peu satisfaisante, puisque, chaque année, 50 000 jeunes quittent définitivement le lycée sans obtenir le baccalauréat et 80 000 bacheliers sortent de l’enseignement supérieur sans aucun diplôme. Notons que le monde dans lequel les lycéens et leurs enseignants vivent aujourd’hui est très différent de ce qu’il était en 1974, date de la dernière réforme significative du lycée.

Aussi, à l’heure où les chiffres révèlent un constat en demi-teinte, je regrette, monsieur le ministre, que l’on s’achemine vers un texte a minima préconisant un certain nombre d’ajustements, au demeurant fort utiles et pertinents.

Mais, il faut bien l’avouer, ce n’est pas si simple ! Car, paradoxalement, alors que les élèves et les enseignants expriment un besoin d’évolution, toute perspective de changement est très souvent vécue avec angoisse et suspicion.

On peut regretter aussi que la réforme de l’éducation ne se fasse jamais de manière globale, et que l’on agisse à chaque fois sur un seul maillon du système. Nous avons réformé le collège en 2005 et l’école primaire l’an passé ; nous réformons aujourd’hui le lycée… Pourtant, un grand texte fondateur, avec une vision complète de la transmission des savoirs, y compris tout au long de la vie, n’aurait sans doute pas été inintéressant.

Comment aborder la réforme ?

Nous ne devons pas appréhender l’école comme un sujet technique et purement administratif, mais comme un sujet vivant et humain dont le cœur est l’élève ! Il faut traiter du sens, de la finalité et des multiples objectifs de l’enseignement – la transmission de connaissances, mais aussi de savoir-faire et de savoir-être. L’école a pour rôle clé de préparer les jeunes à exercer un métier, mais aussi de les aider à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables.

La vision de mon groupe repose sur la conception d’une éducation et d’une culture de l’ouverture, de l’émulation et de l’échange, qui contribue à construire une identité vivante, à l’opposé du repliement sur soi. Notre école républicaine doit également permettre la construction d’une culture commune, composée de valeurs telles qu’une véritable ouverture aux autres.

Parce que nous devons penser la place de chaque élève, quelle que soit sa condition, je me permets, monsieur le ministre, d’attirer votre attention sur le sort des personnes handicapées. Le mois dernier, lors d’un déplacement dans ma région, vous avez déclaré vouloir fournir un avenir, un après-collège à ces enfants. Nous approuvons cette volonté, mais souhaitons en savoir davantage sur vos propositions.

Quelles sont, pour nous, les priorités de la réforme ?

L’orientation, point noir de notre système éducatif, constitue une question fondamentale, sur laquelle il convient d’opérer une véritable révolution culturelle. Les lycéens ont du mal à déterminer quel avenir professionnel leur ouvrent les différentes séries, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du caractère souvent partiel de l’information. En conséquence, l’orientation est plus souvent subie que choisie pour bon nombre d’entre eux. Celle-ci intervient tardivement, ponctuellement, sanscontinuum, et souvent par défaut. Notre pays continue de valoriser l’intelligence abstraite au détriment d’autres formes d’intelligence

Aussi devons-nous absolument penser, dans le cadre de cette réforme, à l’articulation entre le lycée technologique, le lycée général et le lycée professionnel, pour qu’enfin ce dernier ne soit plus vécu comme un pis-aller. L’orientation doit permettre à chaque élève de construire son parcours de réussite et, sur ce point, les préconisations du rapport Descoings, comme celles du rapport de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, me semblent rejoindre les vôtres, monsieur le ministre.

Une rénovation des enseignements et des pédagogies, couplée à une profonde réflexion sur les rythmes scolaires, nous semble également indispensable. Ceux-ci sont aujourd’hui inadaptés : les Français de 15 ans assistent en moyenne à 1 036 heures de cours par an, tandis que la moyenne de l’OCDE est de 921 heures. Il n’est pas rare que certains élèves quittent leur domicile à six heures du matin pour rentrer parfois à dix-neuf heures. Les programmes sont souvent très lourds et les professeurs anxieux à l’idée de ne pas les « boucler ». On soulignera aussi que le découpage de l’année scolaire est souvent déséquilibré, entre un premier trimestre très long et un troisième trimestre qui, le plus souvent, se réduit à peau de chagrin. À cet égard, l’idée d’un redécoupage semestriel me semblait intéressante.

La réforme prévoit aussi un rééquilibrage entre les séries de la voie générale, notamment le sauvetage de la série L. En 2005, au cours du débat sur l’école, notre groupe avait proposé, à travers des amendements malheureusement rejetés, l’intégration dans le socle commun de la maîtrise du corps, ainsi que de l’éducation artistique et culturelle. Aujourd’hui, la réforme prévoit un accès généralisé aux arts et à l’éducation physique et sportive, l’EPS, et je m’en réjouis !

En ce qui concerne les arts et la culture, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la distinction qui me semble devoir être faite entre l’enseignement et l’éducation artistique. L’éducation artistique, c’est la sensibilisation permanente aux arts et à la culture via un certain nombre de disciplines, ainsi que l’apprentissage de l’histoire des arts. L’enseignement, c’est plutôt l’apprentissage d’une technique, généralement dispensée dans ces établissements dédiés que sont les conservatoires ou les écoles de musique. Si, à l’avenir, la série L sert à former aux métiers des arts et de la culture, il serait utile de penser la réforme en lien avec celle, déjà très avancée, des enseignements artistiques, dont nous débattrons la semaine prochaine dans cet hémicycle.

S’agissant maintenant du renforcement des langues, qui constitue une excellente chose, c’est en profondeur et de manière diversifiée qu’il faut agir. Naturellement, l’angliciste que je suis se sent particulièrement concernée. Regrouper les élèves par niveau peut s’avérer opportun, à condition, bien évidemment, d’alléger les effectifs. Dispenser des cours en langues étrangères, encourager les séjours à l’étranger et réintroduire une épreuve orale au baccalauréat me semblent indispensables. Mais l’immersion linguistique nécessaire à tout apprentissage efficace peut aussi passer par des mesures simples. Ainsi, Michel Thiollière et moi-même avons amendé le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision de manière à ce que l’on puisse regarder les séries étrangères en version originale. Je regrette qu’aujourd’hui encore alors que ce service existe sur les chaînes privées, il reste absent de notre service public !

Il faut également libérer l’initiative, comme l’a dit notre collègue Jean-Claude Carle. Aujourd’hui, l’école est parfois trop normative, et l’on pourrait laisser davantage d’autonomie à chacun des acteurs, qu’il s’agisse des directeurs, à travers leurs projets d’établissement, des enseignants, par les expériences pédagogiques qu’ils mènent et des élèves, dont on doit encourager la créativité et l’esprit d’initiative ! Ainsi, la classe de terminale, originalité française, clé de passage vers l’enseignement supérieur, devrait marquer moins la fin des études secondaires que l’amorce des études supérieures. Pour en faire une année moins consacrée à emmagasiner des connaissances qu’à apprendre à les utiliser, il faudrait transformer profondément les méthodes de travail et, notamment, développer l’initiation aux recherches personnelles.

Il convient également, monsieur le ministre, de conforter la place des nouvelles technologies, qui permettent de stimuler la diversité des intelligences dont font preuve nos jeunes. La France a rattrapé son retard en la matière, notamment grâce aux collectivités locales. Aujourd’hui, 95 % des 12-17 ans sont des internautes, et ils passent deux fois plus de temps devant un écran qu’à l’école. Ces chiffres méritent d’être retenus. L’école doit donc mieux s’emparer de ces outils pour guider les jeunes vers une utilisation profitable de la toile qui, on le sait, peut ne pas être sans danger.

Réformer le lycée, c’est aussi se poser la question du métier d’enseignant. Voilà 59 ans que le statut des professeurs n’a pas été réformé ! Comme l’a expliqué le rapport Descoings, il faut, en corrélation avec ces ambitions, penser à l’évolution, à l’adaptation et à l’attractivité de ce beau et noble métier qu’est l’enseignement. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet, que nous avons déjà évoqué au sein de notre groupe en 2005, et que mon collègue Jean-Jacques Pignard développera tout à l’heure.

J’évoquerai encore deux autres points, monsieur le ministre. En premier lieu, si la réforme annoncée des collectivités territoriales confirme la compétence de la région en matière de formation professionnelle, il faudra alors engager un travail toujours plus étroit avec ces collectivités, qui se sont vu confier l’élaboration des plans régionaux de formation.

En second lieu, comme le préconise également le rapport Descoings, le projet de réforme des lycées ne devrait pas apparaître comme un moyen déguisé de diminuer les moyens, mais comme une nouvelle ambition. Abraham Lincoln affirmait : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! » On sait que la France a consacré des moyens conséquents au lycée, et ce au détriment de l’université. Il convient sans doute d’envisager une meilleure répartition à ce niveau mais, comme l’a promis le Président de la République, la réforme doit se faire à taux d’encadrement constant.

En conclusion, nous devons concevoir un lycée qui prépare mieux l’avenir de nos jeunes. Aujourd’hui, le slogan devrait être « la réussite pour tous » plutôt que « 80 % d’une classe d’âge au bac ». »

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