Intervention des Sénateurs centristes: Mission Culture

Retrouvez, ci-dessous, le texte de l’intervention en date du 27 novembre dernier des Sénateurs de l’Union Centriste qui siègent à la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Jean-Paul Amoudry, Jean-Léonce Dupont, Françoise Ferrat, Jean-Jacques Pignard et moi-même:

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes Chers Collègues,

Le groupe de l’Union centriste votera ce projet de budget, qu’il juge globalement bon. Certes, il pourrait être meilleur encore, mais reconnaissons que nous avons connu bien pire…

Nous saluons évidemment l’effort tout particulier que vous consentez en faveur du patrimoine ; vous auriez pu vous contenter du plan de relance, mais vous avez décidé de l’amplifier.

Nous nous réjouissons aussi des mesures concernant la transmission des savoirs, le livre, la recherche culturelle ou le cinéma.

S’agissant de la création, notre jugement sera plus réservé. Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je concentrerai mon propos sur le spectacle vivant, à travers trois interrogations et réflexions.

La première concerne l’augmentation budgétaire, qui est de 0,4 %. Nous en prenons acte. Il reste que, dans le même temps, nous apprenons que 5 % des crédits déconcentrés seront, une fois de plus, gelés : vieux scénario auquel vos prédécesseurs nous ont habitués, mais dont nous avions cru comprendre que le Président de la République ne voulait plus.

Un scénario qui s’apparente à la climatologie des fleuves sibériens : à la fin de l’automne, lorsque nous votons le budget, c’est le gel ; au printemps ou au cœur de l’été, c’est le dégel, non sans que préalablement vos services déconcentrés aient eu à subir une « dégelée » de la part des acteurs culturels, mobilisés pour le rétablissement des 5 %.

Alors, monsieur le ministre, soyons clairs : ou bien le gel sera pérennisé et il ne faut plus afficher 0,4 % d’augmentation, ou bien il ne le sera pas, et il ne faut plus jouer avec les nerfs des gens.

Notre deuxième réflexion rejoint des préoccupations qui ont été exprimées à cette tribune de façon récurrente sur le déséquilibre Paris-province, étant entendu que la province ne se limite pas à l’espace rural, pour lequel nous avons au demeurant beaucoup de sympathie, mais comprend aussi des métropoles qui entendent bien jouer leur rôle dans l’espace européen : Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux, Toulouse et quelques autres.

Nous savons bien qu’il y a des combats perdus d’avance. Jack Ralite vient d’évoquer Gérard Philipe ; je voudrais évoquer Roger Planchon, et qui nous a quittés cette année. Il m’a expliqué des dizaines de fois les combats qu’il avait menés contre une dizaine de ministres pour faire valoir le fait que, dans un pays comme la France, sur cinq théâtres pris en charge par l’État, il y en avait quatre à Paris et un seul en province, et que le Théâtre national populaire –Roger Planchon s’y sentait l’héritier de Jean Vilar– n’avait jamais eu droit à cet honneur. Combat perdu d’avance.

Mais, Monsieur le Ministre, les choses étant ce qu’elles sont, le spectacle vivant ne peut vivre que parce qu’il y a des collectivités locales et territoriales qui le font vivre avec vous.

Le département du Rhône, que je représente, abrite trois institutions dites nationales : le Théâtre national populaire, déjà cité, l’Opéra national de Lyon et l’Orchestre national de Lyon. Le premier est financé par l’État à 55 % –louable effort, j’en conviens–, le second à 16,5 %, le troisième à 12,5 %.

À quelques semaines du débat que nous aurons dans cet hémicycle sur la réforme des collectivités territoriales, ces chiffres doivent nous faire réfléchir. Que se passerait-il pour le spectacle vivant si la compétence générale était retirée aux régions ou départements ? Cette hypothèse, un instant envisagée, avant d’être aménagée, signifierait tout simplement la mort du spectacle vivant. Soyez vigilant, Monsieur le Ministre, et comptez sur notre groupe pour qu’il le soit également.

« Mais, me direz-vous, les entretiens de Valois sont arrivés. Et le spectacle vivant s’en trouve tout ragaillardi. » Je sais bien que cette initiative a précédé votre arrivée au Ministère, mais qu’il vous reviendra le soin de la faire vivre. Je ne partage pas tout à fait l’enthousiasme des précédents orateurs au vu de la première réunion décentralisée qui s’est tenue à Lyon, le 10 septembre dernier.

Dix rangées de l’amphithéâtre de l’Opéra étaient occupées par des messieurs sagement assis – pardonnez-moi, Chères Collègues, mais il y avait très peu de dames. Les cinq premières étaient garnies de Messieurs en costume et cravate, les cinq dernières de messieurs qui n’en avaient pas, tout au moins de cravate … On pressentait au premier coup d’œil que les cinq premières rangées étaient celles des fonctionnaires et des élus, et les cinq dernières celles des saltimbanques.

Les Messieurs en cravate ont longuement parlé, à tour de rôle : le directeur du théâtre, de la musique et de la danse et ses conseillers, le directeur régional des affaires culturelles et ses conseillers, le préfet de région et ses conseillers, le maire de Lyon, le président de la région, le président du département, les vice-présidents, les adjoints, les conseillers, les sous-conseillers des conseillers et les présidents des vice-présidents. Et lorsque, au bout de deux heures, tous les messieurs en cravate ont eu fini de parler, il n’y avait plus de temps pour les messieurs décravatés ! Mais tout le monde était content, c’était « du temps qu’on allait encore aux baleines », c’était les entretiens de Valois, façon décentralisée.

Monsieur le Ministre, on parle beaucoup de crédits ; je voudrais parler aussi de simplification.

Voilà quinze ans que je suis vice-président du conseil général du Rhône en charge de la culture ; quinze ans que je pratique des comités de pilotage qui, bien souvent, ne pilotent pas grand-chose ; quinze ans que j’assiste à des comités de suivi, qui induisent forcément des comités suivants, tout en sachant bien que, pour un comité, on ne sait plus s’il vaut mieux être de suivi que suivant ; quinze ans que j’épluche des conventions de plus en plus longues où doivent figurer obligatoirement les poncifs obligés, les « publics empêchés », les « formes émergentes » ; quinze ans que je vois des créateurs faire la course au label comme d’autres la course à l’échalote.

Je ne suis pas vraiment convaincu que les entretiens de Valois simplifieront les choses. Le spectacle vivant n’a pas besoin de réunions supplémentaires, qui épilogueront sans fin sur des contrats d’objectifs. Il a besoin d’une seule chose : la confiance qui doit s’instaurer entre un créateur et des élus publics, qui lui permettent de créer sans rien lui imposer, dès lors que la confiance tient lieu de contrat.

Roger Planchon est mort sans avoir obtenu le label qu’il avait souhaité. Mais, avant lui, tant d’autres sont morts sans avoir été labellisés, ou sans avoir connu la suprême jouissance d’un comité de pilotage. Pourtant, ils sont toujours vivants dans la mémoire collective.

Molière sur les places de Pézenas, Copeau dans les villages bourguignons ou Dasté chez les mineurs de Saint-Etienne, eux aussi sont morts, les pauvres, sans avoir eu pleinement conscience qu’ils jouaient devant des « publics empêchés », et qu’ils donnaient dans l’« émergence ».

En conclusion, Monsieur le Ministre, vous qui avant de le devenir avez d’abord été un créateur et l’êtes toujours, dégelez ! Dégelez vos crédits, certes, mais aussi le conformisme qui, inévitablement, peut guetter une administration déjà quinquagénaire. Conventionnez certes, puisqu’il le faut bien conventionner, mais conventionnez de façon moins … conventionnelle. Labélisez certes, parce qu’il faut bien labéliser, mais sans enfermer les créateurs dans un carcan. Le spectacle vivant a besoin de crédits, mais tout autant de libertés.

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