Je suis intervenue hier soir en séance lors de la discussion générale ouvrant l’examen du projet de loi portant sur les retraites. J’ai pris la parole sur ce texte majeur pour rappeler que si cette réforme s’avère nécessaire pour l’avenir de notre système de pension, elle doit cependant assurer équité et solidarité. Hors, à l’heure actuelle, les mesures proposées risqueraient d’aggraver la situation les femmes. Avec mes collègues de l’Union Centriste, nous proposerons plusieurs amendements permettant de mieux prendre en compte la situation particulière des pensions de retraites des femmes.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de mon intervention :
« Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Personne ne peut nier, à moins d’être d’une mauvaise foi totale, la réalité des chiffres. Si notre système actuel de retraites par répartition, contributif et solidaire, a pu assurer une protection aux pensionnés pendant 65 ans ; l’évolution démographique et économique de notre société a créé un déséquilibre financier insoutenable. Face à cela, comme l’ont exprimé mes collègues centristes, je pense que réformer notre système de retraites est une absolue nécessité.
De cela les français sont conscients : ils savent que l’effort est incontournable ; mais ils souhaitent aussi un système équitable et solidaire. En ce qui concerne les femmes hélas rien n’est moins sur. C’est sur ce point, qu’au nom du groupe centriste, je concentrerai mon propos. Nous sommes consternés de voir que malgré le constat répété par nos délégations aux droits des femmes de nos deux assemblées, depuis 2003, et de nombreux rapports sur les retraites, non seulement des écarts considérables persistent en matière de pensions entre les hommes et les femmes, mais ils risquent d’être aggravés, si la présente loi est votée en l’état.
Je souhaiterais juste rappeler quelques chiffres marquants :
– les femmes partent en retraite, en moyenne, à 61,4 ans et les hommes à 59,5 ans.
– 44% des femmes ont effectué une carrière complète contre 86 % des hommes.
– en droit direct, les femmes touchent 825€ en moyenne contre 1426€ pour les hommes (soit 50 % de moins)
– les femmes représentent 57% de l’ensemble des allocataires du minimum vieillesse]
Deux facteurs majeurs expliquent ces fortes disparités.
Tout d’abord elles résultent pour une part des inégalités professionnelles et des discriminations que les femmes subissent en amont tout au long de leur carrière. Au rang de ces inégalités : les inégalités salariales très préjudiciables puisque c’est à partir de ce que les femmes auront touché durant leur vie professionnelle que se construira leur retraite.
Or elles touchent un revenu annuel moyen brut inférieur à celui des hommes de 19 %. Même celles qui n’ont pas interrompu leur carrière pour des raisons familiales sont moins bien rémunérées. Et la différence est encore plus marquée pour les femmes cadres qui perçoivent, en moyenne, un revenu de 23% inférieur à celui des hommes. Selon une étude récente de l’OFCE, 70% de cet écart salarial n’est pas justifié puisque « L’essentiel de l’écart entre les hommes et ces femmes n’est pas explicable par des différences de caractéristiques observables ».
Force est donc de constater mes chers collègues que malgré nos tentatives de régulation, pas moins de 6 textes depuis 1972, le résultat est qu’aujourd’hui, une salariée à temps complet gagne moins que son homologue masculin ! Dès 2006, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, nous avons souhaité qu’un dispositif de sanctions soit inscrit dans le texte applicable à l’issue du délai des cinq ans accordé aux entreprises pour se mettre en conformité avec l’objectif d’égalité professionnelle. J’avais souligné à l’époque qu’une loi de plus, sans mécanisme coercitif, risquait d’échouer tout comme les précédentes. Ma proposition n’a pas été retenue ! Alors certes, ceci a été enfin pris en compte avec la réécriture de l’article 31 lors de la lecture de ce texte à l’assemblée grâce à notre collègue Marie-Jo Zimmermann mais que de temps perdu !
Deuxième facteur impactant la retraite des femmes : le morcellement de leur vie professionnelle.
Il y a bien-sur les conséquences pour les femmes de la maternité sur leur déroulement de carrière et leur rémunération ainsi que l’impact de la répartition des responsabilités en matière de garde d’enfants et de gardes des personnes dépendantes. Les femmes sont aussi plus touchées par le chômage (9,6 % des femmes contre 8,1 % des hommes) et le temps partiel (30,3 % des femmes actives contre 5,8 % des hommes). Une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) montre que la durée totale d’interruption des femmes qui se sont arrêtées de travailler est beaucoup plus élevée en moyenne que celle des hommes : 3 ans et 3 mois en moyenne contre 1 an et 4 mois.
Comme vous pouvez tous le constater, notre système actuel est donc particulièrement défavorable aux femmes Or, le texte qu’on nous présente aujourd’hui, loin d’apporter des solutions, risque d’aggraver la situation Compte tenu de ce que je viens d’expliquer, il y a notamment une profonde injustice pour les femmes dans la transition de 65 à 67 ans, pour celles qui n’auraient pas acquis le nombre d’annuités nécessaires : ce qui est proposé aux femmes, ni plus ni moins, c’est de travailler plus pour gagner moins ! Un constat partagé par notre délégation aux droits des femmes qui après un excellent travail réalisé par notre collègue Jacqueline Panis a formulé un certain nombre de recommandations qu’on serait bien avisé de suivre. Alors certes le texte sorti de l’Assemblée Nationale est amélioré mais encore perfectible.
J’ai évoqué la réécriture de l’article 31 qui prévoit désormais une sanction financière pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Si comme l’a souligné Madame Zimmermann, ce dispositif présente une nette amélioration il faut que la rédaction de l’article garantisse une logique de résultats et non de moyens. J’y veillerai grâce à un amendement que je vous proposerai.
Au delà de cela, je pense que nous pourrions aussi corriger certaines inégalités comme le préconise d’ailleurs la HALDE non seulement en permettant aux personnes à temps partiel de cotiser sur la base d’un temps complet mais aussi de pendre en compte les 100 meilleurs trimestres et non les 25 meilleures années pour la détermination du montant de la pension, ce qui correspond à la même durée de cotisation. En effet le temps partiel, le plus souvent subi, et des contrats à durée déterminée s’accompagnent de faibles rémunérations. La prise en compte pour le montant de la pension, non pas de la meilleure année mais du meilleur trimestre, permettrait de ne pas aggraver les effets de la précarité au moment de la retraite. Comme le préconise notre délégation aux droits des femmes, il est primordial que les femmes soient aussi mieux informées, pendant leur carrière, des possibles conséquences de leurs choix professionnels, sur leurs pensions.
Je reviens également sur les bornes 65/67ans : je pense qu’il faut maintenir à 65 ans l’âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes (donc hommes comme femmes) ayant pris un congé parental (alors on pourra discuter des conditions requises pour cela) et ceux qui ont du s’arrêter pour soins apportés à un enfant, par exemple handicapé ou une personne dépendante. Vous trouvez mécanique, Monsieur le Ministre, de reculer l’âge de la décote de deux ans, puisque l’on recul l’âge de départ de deux ans, cela peut paraitre une évidence si cela ne fragilise pas encore plus pénalisés quoi qu’il arrive. Surtout quand on regarde les chiffres que vous avancez et ceux de la commission des affaires sociales.
Pour autant, tout ce qui été évoqué ne pourront être que des mesures transitoires. Cette réforme, à l’instar de celles de 1993 et 2003, n’est en effet qu’une étape. Elle doit, à terme, conduire à une réforme structurelle. Comme les parlementaires centristes le défendent depuis 2003, un système de retraites par point (ou compte notionnels) serait plus lisible, équitable et équilibré.
Un système qui mesure la problématique des retraites à l’aune des évolutions de notre société. Il y a l’allongement de l’espérance de vie (accrue de 6 ans depuis les années 1980) mais aussi le fait que la vie et la carrière des femmes ont beaucoup changé ces trente dernières années. La question de l’égalité des retraites entre les hommes et les femmes n’était guère posée autrefois la plupart de celles-ci ne travaillant pas et partageant les ressources de leur mari pendant la période de retraite, puis bénéficiant d’une pension de réversion si elles devenaient veuves. L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, la montée du divorce et des unions hors mariage remet en question l’efficacité d’un tel système. Un nombre croissant de femmes séparées divorcées, célibataires vivront isolées au moment de leur retraite et leur niveau de vie dépendra alors plus étroitement de leurs droits propres Comment faire en sorte qu’ils soient suffisants ? Si les droits dits dérivés restent fondamentaux notamment pour la génération avant 1960, ils auront un rôle moindre dans un contexte de structures conjugales plus diverses. Ces droits reposent bien sur un engagement et un traitement similaire des deux sexes sur le marché du travail. Plusieurs de nos voisins européens tels que L’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède ont exploré des pistes. Aussi je trouve dommage que le texte ne comporte aucune avancée. (En 2009, le nombre d’unions célébré en France a diminué de presque 50 % par rapport à 1972 ; l’âge moyen au premier mariage est passé de 22 ans en 1970 à 29 ans en 2009.)
Pour tenir compte de l’évolution des modes de vie, j’avais proposé que, les cocontractants d’un pacte civil de solidarité puissent bénéficier des droits à la pension de réversion. Quand on sait que le nombre de contrats de Pacs célébrés en 2009 a augmenté de 20%, je trouve particulièrement regrettable qu’on ne puisse même pas discuter de cet amendement qui a été retoqué en vertu de l’article 40. Ce n’est d’ailleurs pas le seul amendement, et je le déplore, qui fait les frais de cet article.
Avant de conclure, je voudrai dire que bien évidemment, nous avons conscience que ce n’est pas la présente loi qui pourra complètement répondre à des inégalités antérieures. j’ai donc demandé, monsieur le ministre, à ce que nous puissions à l’issue de cette discussion sur les retraites, avoir un débat sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Ainsi, pourrons-nous enfin dresser le bilan de 10 ans de politiques fondées sur la volonté de convaincre et non de contraindre et enfin prendre les mesures nécessaires et adéquates pour lutter efficacement contre ces inégalités qui n’ont déjà que trop perduré !
Voici mes chers collègues quelques éléments de réflexion J’espère que nos débats dans les jours à venir sauront être constructifs. Comme je vous l’ai exposé, les causes étant plurielles, nous devons agir sur tous les facteurs et pour le moins éviter que ce texte n’aggrave les inégalités.
Cette réforme est importante pour tous les citoyens, et l’avenir de notre système.
Je vous remercie de votre attention. »