Hier je suis intervenu en tant que rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel. Voici mon intervention :
« L’organisation du service public de l’audiovisuel est un devoir de l’État. Cette phrase n’insulte aucun avenir ; elle n’interdit aucune réforme en profondeur du service public. Elle interdit sa lente agonie. L’essentiel est d’inscrire le principe de la télévision publique dans les piliers de l’identité française. L’essentiel, c’est vrai, consiste à sacraliser la télévision publique en France ».
Par ces mots, la philosophe Catherine Clément, dans son rapport sur « L’offre culturelle sur France Télévisions » remis au ministre de la culture en
2002, aénoncé des principes qui paraissent aujourd’hui prophétiques. Il faut en effet « sacraliser » la télévision publique car elle est un vecteur extraordinaire de transmission de culture et de valeurs, c’est un patrimoine commun, un outil au service du plus grand nombre. Elle est la première pratique culturelle contemporaine, la quasi-totalité de nos concitoyens la regardant. Face à un paysage audiovisuel qui change profondément, il est urgent de moderniser France Télévisions et, d’abord, de supprimer la publicité. C’est pour la télévision publique la chance de sortir des émissions formatées, la chance d’accroître son indépendance et sa spécificité, la chance de réaliser des projets audacieux sans pour autant tomber dans l’élitisme. Les deux premiers titres de ce projet de loi visent donc, d’une part, à donner à la télévision publique les moyens juridiques et financiers de ce changement et, d’autre part, à l’inciter à mettre en oeuvre les ambitions que l’on a pour elle.
Ce qui est certain, c’est que la réforme ne se fera pas sans le groupe France Télévisions. Le groupe a d’ailleurs su prendre en main son destin, ayant déjà par exemple opéré un virage éditorial significatif ces dernières années.
France Télévisions peut donner un visage et une voix au service public.
Ce visage aura de multiples aspects qui correspondront aux lignes éditoriales des antennes ; il devra aussi refléter la diversité au sein de la maison et sur les antennes : diversité culturelle et sociale, diversité des origines et des sexes. Selon un recensement du Monitorage des médias, la présence médiatique des femmes au niveau mondial est de 21 % seulement, contre 79 % pour les hommes ;
la Franceest encore en-deçà de cette moyenne puisque la présence des femmes n’y est que de 17,7 %.
La suppression de la publicité ne doit pas occulter les autres enjeux du texte, notamment la mise en place d’un média global. Les modes de communication et les usages médiatiques ont d’ores et déjà connu des bouleversements. On continuera certes à regarder la télévision en famille ; mais demain, la délinéarisation permettra à chacun d’y avoir accès de manière autonome et personnelle. L’internet favorisera la recherche d’information et le dialogue, le téléphone mobile sera un écran de services et d’alerte. De nouveaux produits seront proposés en amont et en aval de la chaîne premium sur tous les supports, dessinant une offre interactive pour tous les publics, notamment les jeunes. Donne-t-on à la télévision publique les moyens juridiques et financiers de réaliser ces projets ?
Je ne m’étendrai pas sur les modalités de mise en place de l’entreprise unique France Télévisions : M. Thiollère y reviendra, et je partage son sentiment qu’il faut garantir l’indépendance et le pluralisme du groupe. En ce qui concerne le financement, il évoquera la question des taxes ; je m’en tiendrai à celle de la redevance.
La redevance est le mode de financement le plus naturel, le plus dynamique et le plus pérenne de la télévision publique. Un financement tiré majoritairement de la redevance est ce qui différencie une télévision publique d’une télévision d’État.
Nous avons déjà abordé ce débat lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2008.
La commission sur la nouvelle télévision publique a longuement réfléchi sur le modèle de développement et le modèle culturel de France Télévisions. Ses propositions ont été largement reprises dans le présent projet de loi et le projet de cahier des charges. Le groupe de travail sur le modèle de financement a réalisé un travail important : il a estimé à 450 millions d’euros l’impact financier de la suppression de la publicité après 20 heures et à 200 millions d’euros le coût du nouveau modèle de développement de France Télévisions. Mais il s’est heurté à la difficulté d’anticiper les conséquences de la mise en place de l’entreprise unique et de mesurer précisément le coût des missions de service public confiées à France Télévisions ou encore les économies susceptibles d’être réalisées. Enfin, la possibilité d’une hausse de la redevance n’a pas été envisagée.
L’indexation de la redevance sur l’inflation, prévue par la dernière loi de finances rectificative, devrait permettre d’assurer un financement à euros constants de France Télévisions ; mais cela ne représente qu’une hausse de 40 millions d’euros en 2009. Votre commission vous proposera un amendement prévoyant d’arrondir le montant de cette contribution à l’euro supérieur après indexation ; elle vous proposera également, en raison de l’arrivée du média global et de l’utilisation de plus en plus fréquente de l’ordinateur comme récepteur de télévision, d’étendre la redevance à tout type de terminal.
Pour aller plus loin, le législateur doit bénéficier de moyens dont il ne dispose pas aujourd’hui ; le problème de la redevance doit être étudié dans tous ses aspects. Afin que nous puissions aborder la prochaine discussion budgétaire en disposant de toutes les informations nécessaires, nous proposons de confier au CSA le soin de rendre un rapport au Parlement sur le financement de France Télévisions avant chaque loi de finances. Les moyens d’enquête du CSA seront renforcés afin qu’il puisse disposer de données précises et fiables et élaborer son avis en toute indépendance. En Allemagne, une autorité indépendante spécifique est chargée d’estimer les besoins de financement de l’audiovisuel public ; nous avons estimé qu’en France, le régulateur, autorité administrative indépendante, était le mieux placé pour mener à bien un audit régulier de l’entreprise.
Le Parlement doit s’engager dès maintenant à définir le meilleur mode de financement des chaînes publiques. C’est pourquoi votre commission propose la mise en place d’un comité de suivi de la loi composé de parlementaires et chargé de formuler des recommandations avant la prochaine discussion budgétaire ; peut-être apparaîtra-t-il alors nécessaire de relever la redevance, ou de la baisser si des économies peuvent être réalisées.
Ainsi nous donnons à la télévision publique les moyens de remplir ses missions à court terme, et nous nous engageons à lui trouver à moyen terme un mode de financement satisfaisant, garanti sur plusieurs années : toute entreprise a besoin de visibilité.
Afin de renforcer dès maintenant la légitimité de la redevance, nous proposons de la mensualiser, de reconnaître aux téléspectateurs un droit de regard sur la programmation, d’affecter entièrement le produit de cette taxe aux principaux opérateurs de l’audiovisuel public et de changer sa dénomination : elle s’appellerait désormais « contribution à la télévision et la radio publiques ». Si nos propositions sont retenues, la redevance sera portée à 10 euros par mois, trois fois moins que le prix d’un abonnement auprès d’un opérateur satellitaire et dix fois moins que les dépenses moyennes mensuelles des ménages en matière de téléphonie. C’est également moins que le montant de redevance que les Français ont le sentiment de payer, qui s’établit en moyenne à 140 euros annuels.
Mais cette revalorisation de la redevance ne sera pleinement acceptée que si les programmes évoluent dans le sens d’une plus grande originalité, d’une plus large diversité et d’une meilleure qualité.
C’est l’un des problèmes sur lesquels la commission Copé s’est penchée, notamment le groupe de travail sur le modèle culturel auquel j’ai participé. Les professionnels que nous avons auditionnés, par la rigueur et la pertinence de leurs interventions, m’ont fait comprendre la richesse et la complexité de la création et de la production audiovisuelles françaises. La plupart de leurs préconisations ont été reprises dans le projet de cahier des charges : renforcement du soutien à la diversité et à la création, définition d’une nouvelle ambition culturelle, incitation à la mise en place du média global. Ce cahier des charges fait de France Télévisions un modèle pour ce qui est de l’accessibilité aux personnes handicapées, de l’accès à la culture, de la promotion de la citoyenneté, de l’éducation de la jeunesse, de la sensibilisation à l’environnement et à l’Europe.
L’Assemblée nationale a par ailleurs élargi le champ des missions de service public. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires culturelles vous proposera de promouvoir le multilinguisme dans les programmes de France Télévisions, en rendant systématiquement accessible la version originale des oeuvres étrangères diffusées et d’instituer une télévision de rattrapage gratuite sur les sites internet de France Télévisions. Les programmes financés par la contribution à la télévision et à la radio publiques doivent être accessibles gratuitement dans un certain délai après leur diffusion à l’antenne : cela rajeunira l’audience et fournira une justification supplémentaire à la hausse de la redevance.
Par ailleurs, la commission pour la nouvelle télévision publique a décrypté les raisons du succès des chaînes publiques étrangères comme
la BBC. L’évolutiondu secteur audiovisuel public français prévue par ce projet de loi s’inscrit dans une mutation européenne globale, imposée notamment par la directive « Services de médias audiovisuels ». Le rapprochement des régimes juridiques européens devrait permettre de répondre aux impératifs de protection des mineurs, d’accessibilité des programmes et de développement des nouvelles méthodes de production et de diffusion.
Je souhaiterais enfin dissiper certaines inquiétudes. Nous veillons à ce que le secteur de la création sorte renforcé de ce projet de loi. Le risque est que plus de diversité n’engendre pas plus de création. Notre pays peut s’enorgueillir de son industrie culturelle : la moitié des films nommés aux Césars 2008 étaient coproduits par France 2 Cinéma et France 3 Cinéma. La richesse des métiers de la production pourra d’autant mieux s’exprimer que les chaînes du paysage audiovisuel français seront diverses. Nous avons pu constater l’intérêt mais aussi les craintes suscités par la constitution d’unités de programme au sein de l’entreprise unique ; la commission des affaires culturelles vous proposera des amendements visant à assurer la collégialité des décisions prises par France Télévisions pour éviter que l’entreprise unique ne signifie pas qu’une seule personne détienne dans ses mains l’ensemble de la programmation des chaînes publiques.
Garantir le financement de l’audiovisuel public, c’est préserver notre économie face à la concurrence du marché américain.
Nous souhaitons également renforcer l’identité des chaînes, notamment de France 3, la chaîne des régions.
La commission souhaite confirmer l’existence législative de la chaîne préférée des Français et préciser ses missions, en renforçant l’aspect régional. Les temps de décrochage sont insuffisants. France Télévisions devra concevoir davantage de programmes en région. Avec la mondialisation, les Français aspirent à un ancrage territorial, et France 3 est la seule à refléter la richesse de nos territoires.
S’agissant de la société de l’audiovisuel extérieur, nos amendements viseront principalement à améliorer le contrôle du Parlement et à stabiliser le conseil d’administration.
La commission Copé avait proposé de reporter la suppression de la publicité après 20 heures à septembre, ce qui aurait laissé plus de temps au débat et apaisé les esprits. A la requête du Gouvernement, le conseil d’administration de France Télévisions a appliqué cette mesure dès le 5 janvier.
J’en prends acte, mais, à titre personnel, je le regrette.
Nous allons vivre une période d’innovation passionnante. Dans ce nouveau paysage, le service public doit être central et exemplaire, moteur de la recherche, du développement et de la créativité. C’est un TGV que nous lançons ; il ne pourra se contenter des moyens d’un Corail ! Je me félicite que la commission ait donné un avis favorable à ce texte, sous réserve de l’adoption d’amendements ambitieux, mais propres à en conforter l’équilibre.