Mission « Jeunes » : un débat et un rapport à mi étape

Une mission d’information sur la politique en faveur des jeunes, au sein de laquelle je représente avec mon collégue Jean-Léonce Dupont mon groupe, a été mise en place en mars dernier. Ce matin, nous avons remis un rapport à mi-étape et un débat à été organisé dans l’après-midi auquel j’ai participé. Vous trouverez ci-après mon intervention.

« Madame la Présidente,
Monsieur  le Haut Commissaire,
Mes chers collègues,

L’image d’une jeunesse insouciante pleine d’espoir et de confiance dans l’avenir est une image d’Epinal en ce début de 21ème siècle. Les jeunes d’aujourd’hui sont pessimistes, se sentent abandonnés et les chiffres sont accablants. Le fameux ascenseur social républicain hoquette sans arrêt. La question n’est ni récente ni propre à la France, même si, comme nous avons pu le constater lors des travaux de notre mission, la situation apparait plus inquiétante dans notre pays qu’ailleurs. Le problème est structurel même si bien évidemment, déjà fragilisée la jeunesse prend de plein fouet la crise qui amplifie les problèmes existants. Des politiques ont été mises en œuvre depuis une trentaine d’années ; devenues illisibles, elles manquent de cohérence, sont inégalement dotées et s’avèrent peu efficaces. Il était temps de saisir à bras le corps ce sujet et la nomination d’un Haut Commissaire à la Jeunesse en janvier dernier est un signe fort.
Notre mission a abordé beaucoup de thématiques : éducation, orientation, emploi, logement, revenus, santé, loisirs, vie associative… Intervenant en mon nom ainsi qu’en celui de mon collègue Jean-Léonce Dupont, je ne développerai que 3 points constitutifs de la construction et l’épanouissement d’un jeune : l’éducation et la formation (1), l’insertion professionnelle (2) et les pratiques culturelles et sportives (3).
En 1995 Tony Blair avait défini ses priorités : éducation, éducation, éducation, ce à quoi son opposant conservateur avait répliqué, avec humour, que ses priorités étaient les mêmes mais dans un ordre différent. L’éducation est en effet la clé de voûte. Beaucoup se joue à l’école où se forgent les apprentissages fondamentaux. Aussi faut-il garantir à tous les enfants de poursuivre des études dans de bonnes conditions avec une attention particulière à apporter aux acquis dès le CP. Pour autant avec depuis des années 20% d’une classe d’âge qui sort du système sans diplôme ni qualification et un taux de chômage chroniquement élevé, il faut poser les vraies questions. Regardons les choses en face ! Malgré un budget qui a augmenté de 23% en dix ans, les enquêtes internationales nous placent légèrement au-dessous de la moyenne, très loin derrière la Finlande en tête. La réussite des jeunes n’est donc pas, comme nous l’entendons trop souvent, uniquement une question de moyens.
Notre système éducatif est souvent bridé par des conservatismes. Il faut avoir une approche moins académique, plus souple, reconnaissant à l’élève un droit à l’erreur, et finalement plus complète de l’aptitude scolaire. La grande mission de l’école est de veiller à ce que soient acquis le Savoir défini par le socle commun de connaissances, mais également le Savoir-Faire (l’acquis d’une technique particulière) et le Savoir-Etre (la relation à soi et aux autres). A l’école comme au sein de l’entreprise, des administrations, dans le monde du sport, des arts et de la culture il faut promouvoir les talents, faire bénéficier la collectivité de la diversité des intelligences et des sensibilités. La France souffre d’un système de hiérarchisation des formes d’intelligence qui privilégie l’intelligence abstraite. Des jeunes de mon département, épanouis dans une formation professionnelle agricole, ont tous dénoncé la pression qu’ils ont subie lors de leur orientation de la part de leurs professeurs qui les encourageaient, au vu de leurs résultats, à poursuivre dans la voie générale. Les filières courtes, l’enseignement professionnel et l’apprentissage, bien que prometteurs sur le marché du travail, continuent de pâtir d’une mauvaise image. Le travail de revalorisation, effectué depuis quelques années, est à poursuivre absolument tant auprès des familles que des enseignants eux-mêmes ainsi que la réflexion sur une réforme des lycées, inchangés depuis 1975. 
Autre question, celle de l’orientation et de son organisation que ce soit à l’école ou à l’université. La multiplication des structures et des interlocuteurs, le manque de lisibilité sont autant de difficultés pour les jeunes à s’y retrouver. Résultat : près de 60% d’entre eux ne terminent pas les études qu’ils ont commencées à l’université ! Et que dire de l’orientation fondée sur des stéréotypes dont les filles sont les premières victimes : à elles, les études littéraires ou paramédicales, à eux les études scientifiques et techniques ! Le service public de l’orientation, garant de la connaissance concrète du monde du travail, préconisé dans notre rapport, s’avère donc indispensable.
Les difficultés d’orientation sont accrues par le décalage entre la représentation que ce font les jeunes du monde du travail et la réalité. Cela implique de généraliser les stages réguliers et obligatoires tout au long de la scolarité et de la formation. Un étudiant en sciences humaines peut ainsi passer 5 années sur les bancs de la fac sans jamais être obligé de faire des stages ! Le rapprochement entreprise/école, entreprise/université est indispensable. Ces deux univers sont trop cloisonnés comme nous l’ont confirmé les auditions. C’est une véritable révolution culturelle qui doit se faire tant du côté des enseignants que des employeurs qui ont eux aussi un rôle à jouer. Il faut sensibiliser davantage ces derniers à la situation des jeunes ; cela fait partie de leur responsabilité sociale.
En matière d’éducation, on observe une méfiance généralisée à l’égard de toute démarche pragmatique, préférant les grands principes. Les bons sentiments, transformés en slogan « 80%  de réussite au bac » et le rêve du collège unique ont fait la preuve de leur échec. La phobie générale de toute orientation précoce voire de toute orientation et de toute sélection ont conduit les jeunes vers des impasses. Nous le savons bien. Pourquoi laisser des dizaines de milliers d’étudiants s’engouffrer dans des filières qui ne les conduisent nulle part ? En dehors de certaines filières (médecine, droit, pharmacie…), les filières universitaires longues offrent trop peu de débouchés par rapport au nombre d’étudiants, confrontés à une concurrence très forte. Chaque année 80 000 jeunes quittent l’université sans avoir obtenu de diplômes. La loi LRU fut une première étape dans la réforme de l’enseignement supérieur  qu’il faut poursuivre. A cet effet, des chantiers ont été ouverts portant notamment sur le logement étudiant, les bourses…
Le deuxième point que je souhaite aborder est la question de l’insertion professionnelle, qui prend une acuité particulière en ces temps de crise où le chômage des jeunes atteint des sommets. L’insertion des jeunes dans l’emploi est devenue incertaine, lente, chaotique, subissant davantage les fluctuations de la conjoncture. Cela fait 30 ans que la question préoccupe les gouvernements. Depuis 1977 date à laquelle le chômage des moins de 25 ans était de 11,3% (contre 5,3% pour les autres catégories), les mesures incitant les entreprises à prendre des jeunes en échange d’exonérations de charges se sont succédées sous différentes appellations. Hélas, ces politiques n’ont pas toujours eu le succès escompté.
Cette difficulté à être embauché s’expliquent par différentes raisons qui parfois se cumulent : le manque de diplômes -même si ces derniers ne sont plus un rempart contre le chômage contrairement aux années 70-, l’inadéquation entre la formation et le marché du travail, le manque d’expérience. Cela confirme l’absolue nécessité des stages et des immersions régulières qui permettent aux jeunes de mieux s’orienter mais aussi d’acquérir cette première expérience. Les mutations du marché du travail et des métiers doivent être par ailleurs mieux anticipées ; on ne peut qu’être frappé par l’inadéquation entre les offres et les demandes d’emploi.
Ceux qui ont réussi à franchir le cap de l’embauche, sont confrontés à une deuxième difficulté, celle des contrats précaires -CDD, intérim, temps partiel…- qui ne leur permettent pas de vivre correctement, de devenir pleinement autonomes et ainsi de pouvoir se projeter dans l’avenir. Un certain nombre de jeunes vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le RSA, mis en place à partir du 1er juin, ne concerne pas les jeunes qui vivent des ruptures dans leur parcours professionnel. On peut le regretter. Ainsi au sein de la mission, l’idée d’une allocation jeune a été émise. S’il importe selon nous de distinguer ce qui est souhaitable de ce qui est possible, cette question de l’autonomie financière mérite d’être approfondie.
Dernier point de mon intervention : compte tenu des difficultés rencontrées par la jeunesse, le risque de repli sur soi et du sentiment d’inutilité grandissent. Plus que jamais, dans un monde où l’individualisme se développe et fragilise la cohésion sociale, la vie associative, les pratiques sportives et culturelles pour tous mais en particulier pour les jeunes doivent être facilitées. On ne saurait trop le répéter : de l’école à l’université, dès le plus jeune âge la pratique d’activités physiques, la sensibilisation aux arts et à la culture participent de l’équilibre et de l’épanouissement des individus.
Rendre les musées et les théâtres gratuits est certes une mesure intéressante proposée par notre mission mais elle ne saurait être pleinement bénéfique que si, en amont dans la vie des jeunes, à travers des dispositifs appropriés, on aura veillé à les familiariser à la culture, à éveiller leur goût et leur curiosité. L’effort doit non seulement porter sur l’école mais aussi sur l’université où il faut bien l’avouer, à la différence d’autres pays, l’offre reste disparate et insuffisante. A cet égard j’ai souhaité qu’une étude sur les pratiques culturelles à l’université soit réalisée car la culture comme le sport sont des outils de socialisation indispensables au moment où l’on construit sa personnalité, où l’on s’ouvre au monde et aux autres.
Aujourd’hui les jeunes vivent la culture essentiellement sur le net ; elle  n’est plus forcément associée à un lieu (théâtre, musée, cinéma…) ou à des supports réels (livres, disques…). D’ici quelques années, ces nouveaux comportements seront quasiment ceux de toute la population. Territoires réels (les équipements) et territoires virtuels de la culture sont désormais intrinsèquement liés. Aussi, à côté des industries culturelles, les pouvoirs publics doivent s’emparer de ces champs nouveaux car si la culture c’est la création, la découverte, la novation c’est aussi la transmission de nos patrimoines et de nos valeurs qu’il faut assurer. On a déjà eu l’occasion de le dire lors de précédents débats ; il faut veiller à ce que les nouveaux supports de diffusion de la culture (TV, Internet…) disposent d’une offre  et légale multi support de qualité.
Pour finir, je souhaiterais aborder le rôle des collectivités territoriales puisque la mission de notre Haute Assemblée est de les représenter. Si la question doit être regardée de façon transversale au niveau de l’Etat, il doit en être de même au niveau local : dans les collectivités une délégation à part entière doit être dédiée à la jeunesse, sans être systématiquement rattachée aux sports. Elles doivent par ailleurs, comme les entreprises, s’ouvrir aux jeunes.
Comme au niveau central, une mobilisation de tous les acteurs concernés est indispensable. Or, il n’existe actuellement aucune coordination des politiques liées à la jeunesse mais des instances éparpillées : les services de la ville, les associations, les instances de l’éducation nationale, les parents, le milieu associatif, les entreprises… Qui peut mieux fédérer que le maire ?
L’objectif, quelque soit le niveau d’intervention, est de lutter contre les racines de l’échec en offrant à chacun son parcours de réussite et sa voie d’accès à l’autonomie. La jeunesse constitue la force de demain et les futures élites. C’est donc un investissement incontournable, qui concerne, rappelons-le, 8,2 millions de nos concitoyens dont nous avons la responsabilité. Ne perdons pas de vue, comme l’a dit un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo que « la jeunesse est le sourire de l’avenir ». Je vous remercie de votre attention. « 

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