Projet de loi relatif aux archives : intervention au nom de la commission des affaires culturelles

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles s’est saisie pour avis du projet de loi ordinaire relatif aux archives. Elle avait examiné au fond la loi fondatrice du 3 janvier 1979, qui a fixé, pour la première fois depuis celle du 7 messidor an II, un cadre juridique cohérent sur les archives.

Les archives constituent, en effet, l’un des piliers de notre politique culturelle du patrimoine ; il est confié au ministère de la culture depuis la création de celui-ci, en 1959.

Toutefois, la politique des archives ne se réduit pas à cet aspect : elle contribue également au bon fonctionnement de notre État de droit ; elle est au service de la transparence de l’action publique. On ne peut gouverner sans archives.

Maurice Druon, alors député de Paris, s’exprimait ainsi lors de l’examen de la loi de 1979 à l’Assemblée nationale : « Tout acte de l’intellect suppose un appui sur le souvenir. Il n’y a pas de civilisation sans mémoire. En ce sens, les archives constituent la mémoire de la nation. »

Mais le rôle des archives a évolué et s’est diversifié : les auditions auxquelles notre commission a procédé m’ont, en tout cas, permis de mieux cerner leur importance et leur modernité. Contrairement à une idée largement répandue, les archives ne sont pas de vieux grimoires poussiéreux. Bien au contraire, les archives sont vivantes : ancrées dans notre quotidien, elles forgent notre identité individuelle et collective. Jules Michelet, qui fut chef de la section historique des Archives nationales de 1831 à 1852, relevait, dans l’un des volumes de sa célèbre Histoire de France : « Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d’hommes, de provinces, de peuples. »

Je pense ici à l’importance des archives municipales et départementales, à l’état civil notamment, dans la constitution de la mémoire et de l’identité de nos territoires.

Au-delà, les archives investissent des champs de plus en plus larges de la recherche, de la vie économique, civique ou sociale : ce sont de véritables réservoirs de connaissances, aujourd’hui indispensables pour appréhender les phénomènes contemporains, dans tous les domaines de la science.

Le projet de loi qui nous est soumis s’inscrit dans un contexte marqué par une exigence de modernisation de la politique des archives.

Le défi numérique, d’abord, a un double impact : la « dématérialisation » des supports, d’une part, appelle une adaptation des méthodes de collecte et de conservation ; la numérisation des fonds, d’autre part, permet de favoriser l’accès aux archives par leur diffusion en ligne, mais au prix d’un travail colossal et coûteux.

Un autre défi est la production de plus en plus massive d’archives publiques. Je citerai juste quelques chiffres pour donner une idée de l’ampleur de l’enjeu : les cinq centres nationaux et le réseau des archives territoriales conservent plus de 2 800 kilomètres linéaires d’archives, soit la distance entre Paris et Moscou, et reçoivent chaque année 70 kilomètres supplémentaires ; le volume des archives publiques a ainsi quasiment doublé en trente ans.

Nous avons salué, madame la ministre, lors de l’examen du budget de la mission « Culture » pour 2008, l’effort consacré au lancement du chantier de Pierrefitte-sur-Seine, qui sera le troisième centre francilien des Archives nationales. Annoncé en 2004, ce projet, plébiscité par les associations d’usagers, permettra de remédier à la saturation des locaux actuels, tout en étant porteur d’une ambition nouvelle à l’égard d’une institution parfois un peu trop négligée.

Dans ce contexte, le projet de loi ne remet pas en cause les grands principes posés par le législateur il y a près de trente ans, mais il les actualise sur plusieurs points. Je me réjouis que ce texte, déposé en août 2006, soit enfin examiné par le Sénat. Il est le fruit d’une réflexion approfondie et d’une longue maturation : voilà en effet plusieurs années qu’il est apparu nécessaire d’adapter le cadre juridique issu de la loi de 1979. Le conseiller d’État Guy Braibant avait formulé en 1996 des propositions pour des archives plus riches, plus ouvertes et mieux gérées : le projet de loi reprend un grand nombre d’entre elles.

Je ne reviendrai pas en détail sur l’ensemble des dispositions du projet de loi, qui ont déjà été exposées par notre collègue René Garrec, rapporteur au fond. Je limiterai mon propos à quelques observations et aux principales propositions formulées par notre commission.

Madame la ministre, vous l’avez dit vous-même, ce projet de loi est attendu par les usagers des archives : il répond aux attentes de la communauté scientifique en réduisant les délais de communication et en les alignant sur ceux qui sont en vigueur dans la plupart des autres pays. Tel est le principal axe de ce projet de loi, dont notre commission a partagé l’esprit.

Notre attention a, toutefois, été attirée sur deux points.

D’abord, les demandes de consultation de fonds avant l’expiration des délais de communication sont examinées de façon souple, car les réponses sont favorables dans 95 % des cas. Cependant, les délais dans lesquels ces autorisations sont délivrées dépassent parfois six mois, voire un an. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, préjudiciable aux étudiants ou chercheurs qui doivent rendre leurs travaux dans des temps limités.

Ensuite, les fonds qui pourront désormais être communiqués devront être prêts, c’est-à-dire classés et traités par des archivistes professionnels. Or cela prendra du temps et nécessitera des moyens. Je m’interroge donc, madame la ministre, sur les moyens qui seront donnés à l’administration des archives pour traduire dans les faits les avancées du projet de loi. Jusqu’à présent, le très faible nombre de postes ouverts à l’École des chartes et à l’Institut du patrimoine peut apparaître en décalage avec l’augmentation du volume d’archives produites. Dès lors, des évolutions plus favorables de recrutement de conservateurs sont-elles à prévoir ?

Ces observations valent également pour l’article 4 du projet de loi, qui prévoit que les directeurs des services départementaux d’archives seront choisis parmi les conservateurs du patrimoine de l’État. Il faudra veiller à développer les passerelles pour permettre à des conservateurs territoriaux d’accéder à ces postes.

De même, de plus en plus d’universités proposent des formations d’archivistes : ces diplômés pourront-ils également rejoindre le corps des conservateurs d’État ?

Le projet de loi témoigne ensuite de pragmatisme puisque plusieurs mesures visent à adapter le droit à la pratique.

Le texte fait d’abord preuve de réalisme en encadrant l’externalisation de la gestion des archives publiques. Cette tendance semble inéluctable, en effet, dans le contexte de production massive d’archives que j’ai déjà évoqué.

Le projet de loi donne, en outre, un fondement juridique aux protocoles de remise des archives des autorités de l’exécutif. Il s’agit là d’un progrès important, car, comme le président Valéry Giscard d’Estaing en avait bien conscience en inaugurant cette pratique, ces archives sont des matériaux d’une grande richesse pour l’écriture de notre histoire contemporaine.

Je me suis par ailleurs interrogée sur les archives des présidents d’exécutifs locaux : il serait intéressant de disposer d’un état des lieux des pratiques de versement de ces archives, car elles sont désormais une source importante de connaissance. Voilà quelques années, notre collègue Charles Revet, alors président du conseil général de Seine-Maritime, avait signé avec les archives départementales un protocole ô combien précurseur. Je pense que de tels exemples pourraient être suivis.

Je vous proposerai également de combler un vide juridique s’agissant des archives des EPCI : la loi de 1979 n’avait pu prévoir, en effet, le développement de ces structures et l’extension de leurs compétences.

Le troisième et dernier axe du projet de loi est de renforcer la protection du patrimoine d’archives. Le régime de sanctions pénales est complété et actualisé. Nous ne pouvons que partager ces orientations, qui vont dans le sens de la réflexion que vous avez engagée, madame la ministre, en lien avec Mme la garde des sceaux, afin de sanctionner plus lourdement les auteurs d’actes de vandalisme à l’encontre de biens culturels. Notre pays est, hélas, avec l’Italie, ce qui n’est pas surprenant, l’un des plus touchés par cette délinquance, et je crois qu’il est temps de réagir avec fermeté pour sauvegarder notre patrimoine. C’est pourquoi je soutiendrai l’amendement que vous nous présenterez sur ce sujet au nom du Gouvernement.

Les autres mesures du projet de loi, qui concernent les archives privées classées comme archives historiques, peuvent paraître contraignantes. Toutefois, elles répondent au besoin de protéger un patrimoine fragile et bien souvent menacé.

Je proposerai d’aller plus loin, sur le modèle de ce qui a été adopté voilà quelques semaines dans la loi de finances rectificative pour les objets mobiliers, afin d’inciter les propriétaires d’archives classées à restaurer et à valoriser leurs fonds, dont ils devront bien sûr, en contrepartie, faciliter la consultation ; il s’agit en effet d’un gisement précieux, mais encore trop peu exploité, pour les chercheurs et historiens.

Le projet de loi prévoit également des adaptations ponctuelles, notamment en vue d’étendre aux archives privées les dispositions relatives à la vente de gré à gré des objets mobiliers de la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Au-delà, je me suis interrogée sur la question des ventes en ligne d’archives, que ces archives soient d’ailleurs publiques ou privées. Le développement de ce phénomène appelle sans doute des mesures spécifiques. Certes, cela dépasse le cadre du présent projet de loi, car l’ensemble des biens culturels est concerné. Cependant, madame la ministre, avez-vous des éclairages à nous apporter sur ce sujet ?

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la commission des affaires culturelles a estimé que ce projet de loi allait globalement dans le bon sens, elle a toutefois souhaité y apporter plusieurs modifications, et j’aurai plus tard l’occasion d’aborder plus en détail les amendements qu’elle a adoptés.

Il s’agit d’abord de réaffirmer les prérogatives des assemblées parlementaires à l’égard de leurs archives. Nos deux commissions se sont prononcées de façon unanime sur ce point, qui est inhérent aux principes de séparation des pouvoirs et d’autonomie du Parlement. Cette gestion autonome, dont nous avons pu constater avec quel professionnalisme elle était exercée en visitant les archives du Sénat, ne signifie pas opacité : bien au contraire, elle doit contribuer, comme c’est, je crois, le cas aujourd’hui, à la transparence et à l’ouverture des travaux du Parlement, ce qui est une exigence de notre démocratie.

Par ailleurs, je tiens à souligner que cette gestion autonome ne fait en rien obstacle au principe d’une coopération fructueuse avec l’administration des archives.

J’ai souhaité insister en outre sur la nécessité de valoriser la politique des archives. Je proposerai ainsi de consolider le statut juridique du Conseil supérieur des archives, qui était présidé depuis sa création en 1988 par René Rémond. Cela devrait contribuer à donner une plus grande visibilité à la politique des archives et à lui conférer une dynamique nouvelle.

Cependant, au-delà des textes de loi, cette ambition passe également par une évolution des mentalités : il me semble ainsi indispensable de sensibiliser les futurs cadres ou dirigeants des secteurs public et privé, au cours de leur formation initiale, à l’importance de la conservation des archives.

Les archives sont souvent le dernier sujet de préoccupation dans les administrations et, surtout, dans les entreprises. Or les archives du monde du travail sont un formidable gisement pour la recherche. Il serait dommage que cette source d’histoire et de connaissances disparaisse. Sa conservation suppose une bonne information des responsables en amont, mais aussi des moyens adaptés pour les services d’archives afin qu’ils puissent prendre en charge ces documents avant qu’ils ne soient détruits. Or ce n’est pas encore le cas aujourd’hui : seul un centre des archives du monde de travail a vu le jour à Roubaix, alors que cinq pôles étaient initialement prévus.

Je souhaite, madame la ministre, que ces aspects ne soient pas négligés : ce seront des mesures nécessaires en accompagnement du projet de loi, afin de donner leur pleine portée aux avancées que celui-ci prévoit.

Sous réserve des amendements que je présenterai, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable quant à l’adoption du projet de loi relatif aux archives. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)

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