Retrouvez ci-après mon intervention prononcée ce jour dans l’Hémicycle à l’occasion de la Discussion Générale sur le Projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public :
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame la Présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation,
Monsieur le Rapporteur,
Mes chers collègues,
Malgré les déclarations tonitruantes, force est de constater aujourd’hui que le texte que nous sommes amenés aujourd’hui à examiner est quelque peu décevant au regard des grands enjeux de l’Audiovisuel du 21ème siècle.
D’abord discuté et voté « à la va-vite » en fin de session extraordinaire par nos collègues de l’Assemblée, le gouvernement nous présente au Sénat, toujours en procédure accélérée, un texte traitant pourtant de sujets fondamentaux.
Des sujets hélas sur lesquels les parlementaires n’ont que peu été amenés à réfléchir et à s’exprimer. En effet, ils n’ont ni été conviés aux Assises de l’audiovisuel, à l’encontre de la tradition républicaine et de la qualité des débats, ni été associés au groupe de travail chargé de repenser la contribution à l’audiovisuel public.Un paradoxe lorsqu’on songe au fait que le principe d’un groupe de travail sur ce sujet avait été acté dans la loi de 2009 via un amendement que j’avais proposé au nom de notre commission.
Permettez-moi, Madame la Ministre, de relever qu’il y a là un paradoxe à prétendre depuis des mois avancer sur ces questions, tout en ne respectant pas le rôle du Parlement.
À cet égard, je rappellerais le court-circuitage par Bercy de la représentation nationale dans l’attribution de la « bande des700 ». Le projet de réaffectation de fréquences vers les opérateurs de télécommunications pourquoi pas, mais ne peut être instauré sans débat préalable, sans réflexion liée d’ailleurs au développement de l’audiovisuel, notamment au déploiement de la haute définition généralisé à l’ensemble des chaînes.
Une tentative de passage en force également avec la cacophonie autour de l’éventuel transfert de la riposte graduée de l’Hadopi au CSA par un simple amendement. Finalement, il n’en a rien été. Il faut dire que le projet d’amendement de Mr le Rapporteur, car il y en avait bien un, ne faisait pas l’unanimité ni auprès des acteurs du secteur, ni dans votre propre majorité.
L’Improvisation politique n’a pas sa place pour un sujet dont les enjeux sont considérables. Des enjeux qui attendent depuis un an que des réponses crédibles, solides, leur soient apportées.
Pourquoi ?
Parce que le secteur a subi de multiples et très importantes transformations, celles ci rendent une partie de notre réglementation obsolète Arrivée de la TNT, multiplication des nouveaux supports et modes de diffusion, développement de la télévision connectée … Nouveaux usages mais aussi nouveaux acteurs à prendre en compte.
Tout cela pour dire notre déception à la lecture du texte initial du gouvernement. Notre rapporteur lui même l’aura fait observer dans le rapport de la commission.
Il est ainsi regrettable, malgré les grandes annonces du début de mandat, que les effets de la convergence numérique n’aient pas été pleinement pris en compte au travers un travail de réflexion abouti sur le rapprochement du CSA et de l’Arccep.
On notera aussi que ces évolutions fulgurantes et profondes ont également bouleversé de manière durable les modèles économiques traditionnels, le CSA ne pouvait donc plus se borner à demeurer un simple régulateur de contenus, un censeur éditorial diront certains, en parallèle de la poursuite de ses missions originelles.
Parce-que le CSA doit continuer à être le garant d’un audiovisuel de qualité, pluriel, diversifié, il lui revient donc, de veiller à ce que soient respectés les conditions d’une concurrence saine et équitable. Et donc de veiller à la régulation économique du secteur.
En ce sens, là, pour le coup je salue les avancées portées par le projet de loi qui ajoute le critère économique dans la grille d’évaluation du CSA, un point important concernant l’attribution et la gestion des fréquences. Le sénat aura bien fait avancer le texte.
Maintenant, il était évidemment nécessaire de rénover les dispositions touchant à la nomination des dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public par le CSA. Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire suivent donc une ligne que je soutiens, mais qui est loin d ‘être novatrice …
D’ailleurs, d’aucuns déplorent l’affaiblissement du contrôle démocratique avec le dessaisissement de la représentation nationale d’un certain nombre de prérogatives :
En effet, ce texte prive les parlementaires de leur pouvoir de contrôle des nominations des présidents de l’audiovisuel public en confiant au CSA, et à lui seul, la responsabilité de ces nominations.
Il les prive également du droit de regard direct sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens.
L’audiovisuel public est pourtant un enjeu qui concerne tous les Français.
Ce contrôle démocratique devrait d’ailleurs s’opérer sur les activités de l’ensemble des autorités indépendantes. Compte de l’évolution des missions confiées au CSA, de l’accroissement de ses compétences, le parlement devra veiller à instaurer un lien plus régulier et plus exigent avec le CSA dans le rendus de ses travaux.
Je pense notamment au suivi du contrat d’objectifs et de moyens par la représentation nationale.
Un contrôle démocratique sur le CSA qui s’avère d’autant plus nécessaire que, remodelés par ce projet de loi, ses pouvoirs s’étendent désormais entre nomination, régulation, contrôle, tutelle.
Des pouvoirs considérables qui nécessitent une autorité impartiale, libérée de toute pression politique.
L’indépendance, c’est bien tout l’objet de ce texte.
Poursuivre la réflexion sur la nécessaire indépendance s’inscrit dans les logiques institutionnelles et politiques actuelles, impulsées par la réforme constitutionnelle de 2008. Ainsi améliorer les dispositions portant sur la nomination des membres du CSA ainsi que celle des présidents de l’audiovisuel nous semble une bonne chose . maintenant Madame la Ministre, chacun doit être conscient qu’il n’existe pas de système idéal.
Aussi, il apparait exagéré d’affirmer, comme vous le faites, que ce texte est bien » la grande loi par que pousse l’indépendance à un degré jamais atteint « .
Si certaines dispositions notamment le mode de désignation des conseillers du CSA sont de vraies avancées, celles concernant son président et le président des sociétés de l’audiovisuel public ne sont guère progressistes.
Et puis il faut bien mesurer que l’indépendance ne se décrète pas : il s’agit d’un équilibre subtil.
Comme le relevait mon rapport sur les comptes de France Télévisions de juin 2010, pour les sociétés de l’audiovisuel public, l’indépendance c’est également celle d’un financement pérenne et dynamique. À cet égard pour nous centristes une télévision publique doit reposer sur des financements publics adaptés, un principe déjà affirmé à l’occasion de la loi de 2009. Ainsi nous regrettons le refus depuis des années de faire évoluer la contribution à l’audiovisuel public, non pas seulement sur son taux mais sur son assiette vers plus d’équité. J’ajouterais qu’à l’heure où les recettes publicitaires sont devenus incertaines.
On a tout sauf garanti l’indépendance de l’audiovisuel public en opérant des coupes brutales l’année dernière et en choisissant de ne pas non réaffecter entièrement les 2 euros d’augmentation de la contribution à l’audiovisuel public. Nous aimerions d’ailleurs avoir des nouvelles des 32 millions d’euros actuellement gelés par Bercy.
L’indépendance, c’est aussi les conditions d’exercice du mandat des Présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Une indépendance que vous avez vous même mise à mal madame la ministre en commentant sur une antenne de radio les choix éditoriaux de FRTV Beaucoup se sont émus de cette sortie abrupte.
L’indépendance des sociétés de l’audiovisuel public renvoie aussi à la question des pouvoirs qui incombent à l’autorité de régulation et donc au profil des membres qui la composent.
C’est pourquoi, je soutiens avec l’ensemble de mes collègues du groupe UC-UDI le principe porté par le projet de loi ordinaire d’une désignation des conseillers du CSA avec une majorité positive des trois cinquièmes dans les deux chambres, mais je regrette que le gouvernement n’ait pas été plus novateur dans le processus de nomination des Présidents de l’audiovisuel public.
En effet, le mélange des rôles entre régulateur de l’audiovisuel et responsable de la nomination des dirigeants des opérateurs publics de ce même secteur est peu souhaitable, alors même qu’il est question de la régulation d’un secteur économique fort sensible.
Cette anomalie est inédite, en France comme en Europe : Comment imaginer que l’ARCEP nomme les dirigeants de La Poste ou d’Orange ? Ou que la Commission de régulation de l’énergie nomme le président d’EDF ?
Et puis, Madame la Ministre, qui peut croire qu’on renforce l’indépendance en confiant la responsabilité de nommer les dirigeants de l’audiovisuel public au CSA, dont le président, quelques soient ses qualités propres, a exercé les fonctions éminemment politiques de directeur de cabinet du Premier Ministre et qui a été nommé par le Président de la République ?!
C’est la raison pour laquelle, sur le modèle de ce qui fut proposé en 2008 par la commission sur la nouvelle télévision publique, je propose que les présidents directeurs généraux de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France soient élus par leur conseil d’administration respectif, sur une liste de trois à cinq noms proposée pour chacune des entreprises par le CSA.
Chaque candidat devra être en mesure de défendre un projet de mandat, tant devant le CSA que devant le conseil d’administration intéressé, qui constituera le cadre général de son plan d’action à cinq ans. Ils seront ainsi désignés sur des critères exigeants de compétence et d’expérience.
Par ailleurs, j’estime que, comme le choix des dirigeants de sociétés audiovisuelles publiques, la désignation du président du CSA doit se fonder sur la compétence et l’expérience du candidat.
Afin d’achever le processus d’indépendance du CSA entamé par ce texte et de réaliser les engagements du Président de la République pris devant les Français quant aux exigences de neutralité et d’équité de l’audiovisuel public, je propose avec mes collègues du groupe UDI que son président soit élu par les conseillers eux-mêmes au sein du collège à l’issu de chaque renouvellement.
Cette mesure permettra d’évacuer tout reproche de favoritisme lié à des attaches partisanes avec le pouvoir en place. L’actuelle majorité à suffisamment stigmatisé la nomination de Rémy Pfimlin et de Jean Luc Hees par le président Sarkozy pour ne pas se regarder dans la glace aujourd’hui !
Compte tenu maintenant des bouleversements précédemment évoqués qui font que les sujets deviennent plus complexes techniquement et juridiquement, de la nouvelle donne économique, nous trouvons qu’il aurait été nécessaire de réfléchir au profil des conseillers.
Les sénateurs UDI portent l’idée que la composition du CSA doit être radicalement repensée autour de deux piliers : compétence et expérience, nous avons amendé le texte dans ce sens.
Telle que formulée mais globalement la présentation des compétences et de l’expérience attendues des membres du CSA est trop générique.
Il est pourtant indispensable que les conseillers réunissent des personnalités représentant une diversité de compétences, tant techniques qu’économiques ou juridiques, ainsi qu’une diversité d’expériences, issues des secteurs de la production, de l’édition et du journalisme audiovisuel. Aujourd’hui le journalisme est sur représenté au détriment de la production. Il conviendrait aussi de veiller à la diversité des origines , que l’on puisse retrouver aussi des chefs d’entreprise et pas seulement des fonctionnaires qui plus est issus du même corps d’état. Cette dernière remarque devra s’appliquer aux candidats à la présidence de chaîne.
Les décisions que la CSA rendra n’en auront que plus de force et de légitimité, au moment ou le secteur s’est developpé et complexifié.
Autre point que je voudrais souligner : l’autorité indépendante sera d’autant plus respectée si elle parvient à tenir ce rôle de régulateur qui, certes, sévit parfois, mais qui se tient les plus souvent » au-dessus de la mêlée « , cherchant à arbitrer les différends relatifs à la circulation des œuvres entre professionnels du secteur afin d’éviter qu’un litige long et coûteux n’apparaisse.
C’est la raison pour laquelle je défends l’institutionnalisation de la fonction de médiateur, instituée à titre expérimental en 2011 et qui a démontré toute son utilité. Un idée qu’avait déjà émis au printemps 2013 notre collègue Jean-Pierre Plancade.
Certes, l’amendement n°26 de Mr le rapporteur, adopté par notre commission le 17 septembre dernier, constitue une avancée significative sur la question difficile de la circulation des œuvres.
Mais, confier cette mission aux services du CSA pose un réel problème de compatibilité avec les préconisations de la Cour européenne de justice qui impose une stricte séparation entre la fonction d’instruction et celle de sanction.
La rédaction adoptée en commission ne concerne que les conflits entre éditeurs de services de télévisions et producteurs.
J’ai donc déposé un amendement visant à remplacer la notion de « conciliation » par celle de « médiation indépendant » qui se situe, elle, en amont de toute procédure sans pour autant entrer en contradiction avec l’article 40 de la Constitution puisque cette mission restera financée sur le budget propre du CSA, comme depuis sa création en 2011.
Voilà , Madame la Ministre, mes chers collègues,
Au regard de tous ces éléments, il est patent qu’il y avait et qu’il reste un vrai travail de fond à réaliser sur la régulation d’un audiovisuel profondément bouleversé par la convergence numérique.
Enfin, si l’on souhaite poursuivre les grandes missions du CSA, notamment celles sociétales, et pérenniser un système de financement de la création audiovisuelle, on ne peut plus traiter du contenus d’un côté et des contenants de l’autre.
La réflexion de fond sur l’articulation des missions et des outils :
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, et le rapporteur ne cessé de nous renvoyer à une seconde loi. Mais cela nécessitera un vrai travail de fond partagé entre le gouvernement et le parlement, étudier en profondeur les propositions du rapport rendu par Pierre Lescure, réfléchir puisque tout est lié à l’ensemble des complémentarités ou articulations qu’il y aurait à effectuer non seulement entre CSA ARCEP mais dans un cadre plus large qui prennent en compte également les missions de la CNIL et L’Hadopi. Sur ce sujet notre groupe d’études lésais et nouvelles technologies rattaché à la commission de la culture et de la communication, qui regroupe des sénateurs issus de plusieurs commissions intéressées notamment affaires économiques et lois pourrait faire un travail intéressant. «
Enfin, ce travail devra converger au niveau européen.
De l’Europe, de l’harmonisation des législations et des pratiques. Voilà ce dont a besoin le secteur de l’audiovisuel aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle je me réjouis que mon amendement exigeant que soit établi un bilan des coopérations et des convergences obtenues entre les instances de régulation audiovisuelles nationales des pays de l’Union européenne ait été adopté par la commission de la culture et de la communication.
Face à l’évolution des usages et des technologies, les aménagements législatifs nécessaires sont nombreux mais pour conclure j’insisterai à nouveau pour dire qu’ils méritent du sérieux. L’épisode de l’Hadopi est à cet égard consternant, que l’on en défende ou non le principe. Annoncer sa mort dés la campagne présidentielle sans avoir méthodiquement procédé à son évaluation, une évaluation indépendante, puis juste après le rendu de la mission Lescure, se dire qu’il faut sauver le bébé et qu’il y’a urgence parce que le piratage à repris, donc se dépêcher de confier au CSA les missions de l’autorité en l’occurence la riposte graduée … Tout cela relève de l’impréparation et de l’improvisation politique dont nous ne voulons pas.
Pour conclure je dirais que nous avons déposé un certain nombre d’amendements pour tenter d’apporter notre pierre à l’amélioration du texte, c’est bien sur à l’issue des débats et au sort qui leur sera réserve que nous nous prononcerons sur notre vote.
Je vous remercie.