Séance Plénière à la Région Haute-Normandie

Ce jour, Séance plénière à la Région Haute-Normandie essentiellement consacrée aux orientations budgétaires

Pour la première fois celle-ci est précédée de la présentation d’un rapport sur  la situation de la Haute-Normandie en matière de développement durable. Enfin, j’ai envie de dire car bien que l’actuel président de Région se targue d’agir en faveur du Développement durable, jamais aucune évaluation des politiques régionales en la matière n’avait été faite. Hors la notion de développement durable s’est universalisée grâce au sommet de Rio en 1992 et en 1994 la charte d’Alborg décline l’idée de responsabilité à l’échelon politique local. D’autres régions comme par exemple la Région Aquitaine qui en sont à leur troisième rapport, n’ont pas attendu l’obligation issue du Grenelle 2 pour se lancer dans cette datcha volontariste. La Région Haute-Normandie, elle, s’acquitte de cette obligation mais à en juger le fond et la forme du rapport sans grand enthousiasme. Preuve en est le déficit de contributions apportées par notre Région lors des VIème assises du développement durable qui viennent de se tenir à Toulouse. Preuve en est la carte de France qui nous classe dans les régions les moins dynamiques.

Au nom du groupe « Pour une nouvelle Normandie », j’ai tenu à intervenir pour souligner, tout comme l’a fait le CESER d’ailleurs, le déficit de stratégie d’intégration des enjeux du développement durable.

Vous retrouverez ci-après ma contribution :

Intervention de Catherine Morin-Desailly -Séance plénière du 17 octobre 2011-

Situation de la Haute-Normandie en matière de développement durable

« Monsieur le Président, chers collègues,

Les 6èmes Assises du développement durable viennent de s’achever à Toulouse, elles ont montré à quel point certains acteurs, qu’ils soient publics ou privés, avaient une vision claire et ambitieuse du développement durable.

Pardonnez-moi, mais on ne peut malheureusement pas en dire autant de notre collectivité régionale. Le rapport qui nous est aujourd’hui présenté en est d’ailleurs le reflet tant sur la forme que sur le fond, même si il a le mérite de mettre en avant des actions emblématiques comme le Mer – Climat – Energie, l’accompagnement de la recherche et de l’innovation, les économies d’énergie par les services ou l’effort porté pour la sensibilisation des particuliers aux économies d’énergie, la protection de la biodiversité, les transports collectifs.

Sur l’aspect formel du document tout d’abord, j’aurai quelques remarques : le manque de stratégie d’une politique en matière de développement durable se ressent nettement dans la présentation du rapport que vous signez M. le Président.

Vous soulignez fortement que ce rapport est la conséquence d’une obligation légale posée par le Grenelle 2 : la lecture fait ô combien ressentir à quel point vous acquittez de cette obligation relève du pensum, que vous le faites à contrecœur. L’intervention de Mme Bérégovoy aura remis un peu de passion et de conviction sur le sujet. La question qui vient alors M. le Président est puisque vous nous dites avoir inscrit la problématique du développement durable dans vos politiques depuis 2005, n’était-il pas temps que le législateur vous impose de mesurer l’action menée en la matière ? Pardonnez moi mais cela ne fait que traduire un défaut de culture de l’évaluation, d’une évaluation claire et précise. Sur ce point également le rapport est éloquent : il ne s’y trouve que peu de données chiffrées permettant de mesurer l’action régionale en la matière tout en affichant les objectifs à atteindre pour l’avenir (Ainsi on apprend p15 qu’on aura réalisé 6,8 km de pistes cyclables en 2010, qu’on devrait atteindre 10 km en 2011 sans jamais rien savoir de ce qui est souhaitable et donc projeté pour les années suivantes). De la même façon on nous dit que 140 km de voies vertes ont été réalisées dans le département de l’Eure et 65 km en Seine Maritime, sans aucune mention des efforts budgétaires consentis et souhaitables pour la suite). Il est tout aussi surprenant qu’au titre du bilan, nous n’ayons aucune idée de la part du budget régional ayant contribué aux politiques de développement durable ?

(40 % en région Aquitaine). Dans un objectif de pilotage de notre politique de développement durable, il serait essentiel vous en conviendrez de disposer d’un référentiel d’indicateurs notamment sociaux et environnementaux  permettant le suivi des engagements du conseil régional. Pour plus de clarté de la présentation il serait souhaitable aussi de rappeler les responsabilités en terme de développement durable, distinguer les responsabilités directes (formation professionnelle et continue, TER, infrastructures portuaires …) du pouvoir d’incitation (développement économique, recherche innovation …)

Alors je sais que vous allez nous redire que ce travail a été effectué dans des délais contraints  en raison de l’arrivée tardive des textes réglementaires. Vous avez participé comme moi aux débats au Parlement sur le Grenelle et vous saviez ce qui avait été inscrit dans la loi.

Je veux  sur ce point être claire : ce n’est aucun cas le travail des services qui est en cause, c’est l’absence de  vision politique qui nous interroge ! Vous l’avouez dans l’introduction à votre rapport p1 « l’ensemble des services a été sollicité pour une première démarche expérimentale » On a envie de dire : et les élus là dedans ?

 Si réellement il s’agit d’une préoccupation régionale de leur part depuis 2005 alors ce rapport aurait déjà dû être l’objet d’un compte-rendu clair de votre action en faveur du développement durable ! (Cela ne traduit-il pas plus probablement l’absence de stratégie d’intégration des enjeux du développement durable dans les politiques régionales ?)

Permettez-moi de soumettre à votre attention ce que d’autres régions ont su faire en la matière : la Région Aquitaine par exemple en est déjà à son deuxième rapport sur sa politique de développement durable, le 1er datant de 2008 et le 2nd de 2010, elle n’a donc pas attendu les textes réglementaires auxquels vous vous référez pour justifier la nonchalance de ce rapport. Celui fourni par la Région Aquitaine traduit un dynamisme et une volonté d’action sans commune mesure avec ce que vous nous proposez là.

Ce qui est certain c’est qu’on ne pourra pas reprocher au document de ne pas être conforme aux prescriptions réglementaires : c’est un copier coller de l’exemple fournit par la circulaire ministérielle, bien des titres sont repris au mot près ! (C’est donc cela l’imagination au pouvoir !)

Et je dois dire que l’indigence formelle se double d’un problème sur la démarche.

Finalement à lire le rapport, TOUT est développement durable, ce qui revient à dire que comme on ne cible pas exactement ce que c’est, faisons croire que toutes les politiques sont passées au prisme du développement durable. Cela n’a pour effet que de considérablement amoindrir la perspective : le défaut de fixation de quelques axes prioritaires reposant sur des actions assortis objectifs à la clef, prive notre Région d’une action lisible et identifiée pour le développement durable. Le CESER lui-même en conclusion de son avis sur le rapport relève  «l’absence de lisibilité d’une réelle stratégie régionale de développement durable à travers les différentes actions réalisées ». Bruno Le Mairea bien rappelé en début de séance ce qu’est une stratégie souhaitable de développement des énergies renouvelables et les compétences technologiques qui vont avec. Je citerai un autre exemple qui m’a frappée alors que nous venons de recevoir il y a quelques jours le rapport de la CCRI sur le tourisme qui souligne une fois de plus le grand retard que nous avons par rapport à une majorité de régions. Et bien ce secteur qui représente un fort potentiel de développement, qui plus est d’emplois non délocalisables, est traité par le seul biais de l’accessibilité des équipements touristiques p5. Ce n’est pas l’action ou le dispositif en tant que tel qui est contestable c’est l’absence de vision plus large et donc plus ambitieuse de ce que peut être le développement de notre région. Et on pourrait citer encore d’autres exemples.

Pourtant est utilisée dès les 1ères lignes du rapport une définition du développement durable incontestable, le développement durable c’est en effet le souhait de répondre aux besoins des générations actuelles, sans compromettre ceux des générations futures. En aparté, je ferai remarquer que la nécessaire contraction de la dette publique induisant un effort de tous les acteurs publics en premier lieu l’Etat que vous ne cessez de stigmatiser pour son désengagement, est à cet égard un impératif de développement durable.

Mais ici comme trop souvent, il n’y a aucune place pour le doute : ce rapport, regroupant le quasi totalité des dispositifs, mis en place par la Région, est une ode à l’action régionale.  

Vous nous excuserez de ne pas partager vos certitudes et de ne pas vous suivre quand vous déclarez au CESER qu’il faudrait « vous faire voter des félicitations » pour l’action de la Région. Il me semble au contraire qu’une politique responsable pour le développement durable doit laisser une place au doute.

Et pourtant des doutes, des manques, des lacunes, il y en aurait à mentionner …

Comment expliquer par exemple que notre Région fasse partie de celles qui connaissent l’un des taux les plus importants de départ des jeunes de 19-24 ans et l’un des taux les moins importants d’arrivée de la même tranche d’âge si ce n’est par le défaut d’attractivité ? (Etude STRATER)

Comment expliquer que notre Région fasse partie des 6 régions pour lesquelles il y a le moins de contributions effectives en faveur du développement durable ? (si on en juge la carte de France que l’on peut trouver sur le site Internet des Assises du développement durable)

Comment expliquer encore que vous nous dites avoir inclus le développement durable dans votre ligne de conduite depuis 2005 alors que dans les contributions adressées par la Région aux Assises Nationales du Développement Durable, on ne trouve mis en avant que les Chèque-Energie et l’Appel à Projet Energie, deux dispositifs au demeurant pertinents mais adoptés sous l’actuelle mandature ?

Dans la continuité de ce questionnement, on peut s’interroger à la lecture de la liste des réalisations cofinancées par la Région comme étant, je cite : « des projets importants pour la population », par exemple la restructuration de l’école de musique de Louviers ou le « 106 » scène des musiques actuelles à Rouen : il faudrait donc comprendre que le retrait du financement, pourtant prévu, de la médiathèque à vocation régionale, qui à n’en pas douter était caractéristique du développement durable dans toutes ces dimensions, devrait donc être envisagé comme n’étant pas important pour la population ? A l’évidence ce n’est pas «  le service pour la population » dans une région qui affiche un triste record en matière d’illettrisme qui a motivé l’abandon du projet. Le manque de vision politique d’une stratégie de développement durable saute ici aux yeux : plutôt qu’un lieu dédié à l’épanouissement et l’émancipation de l’individu dans un bâtiment respectueux de l’environnement, le choix que vous avez  fait avec vos amis politiques a été de le transformer en un lieu de stockage des archives du Département … à chacun sa vision du développement durable et du service à la population. Sur le sujet de la Culture d’ailleurs curieusement le rapport dans sa deuxième partie avoue les carences de la politique régionale depuis 12 ans puisque page 19 il dit avoir engagé depuis la fin de l’année 2010 une «  réflexion visant à redéfinir les orientations de sa politique culturelle » «  il s’agirait de définir les modalités d’une politique plus volontariste en terme d’action culturelle et de développement culturel des territoires notamment ruraux … » Ce n’est pas moi qui le dit c’est écrit dans le rapport, quelle est donc la logique, et cela ne peut être Mme Bérégovoy qui me contredise de lancer avant même les résultats de cette étude, celle de la construction d’un nouvel opéra ?

Il est justement, aussi, un service à la population qui me paraît emblématique de ce qu’est le développement durable : les technologies de l’information et de la communication.

Dans ce domaine notre Région est en retard et le fait que la SCORAN (Stratégie de Cohérence Régionale d’Aménagement Numérique) rendent ses conclusions fin 2011 ne permettra pas de combler ce retard tant dans ce domaine et avec le 276, vous naviguez à vue sans avoir là aussi de programme d’action clairement établi. Ainsi alors que dans l’Eure le maillage du réseau est très insuffisant, qu’en Seine-Maritime l’abandon en rase campagne du Wiimax laisse nombre de citoyens dépourvus d’accès à Internet, vous faites le choix de laisser les Départements maîtres de l’élaboration des Schémas Directeurs d’Aménagement Numérique. Vu le peu de succès de leurs actions récentes dans ce domaine, nous pensons que c’est une erreur stratégique. J’en veux pour preuve que le Département de Seine-Maritime après avoir indiqué à l’ARCEP en décembre 2010 qu’il élaborait le SDAN, vient tout juste de passer commande à un cabinet prestataire. Autrement dit il n’y aura aucune avancée significative en matière de réseau public avant le début d’été 2012 … C’était donc bien à la Région de prendre en main ce dossier, une fois de plus elle ne fera qu’accompagner… (Rappelons l’existence du fond d’aménagement du territoire qui a été crée à cet effet). La préoccupation de nos collègues maires ruraux est bien selon de récents sondages le numérique tout autant que les routes.

Le haut voire très haut débit est un enjeu considérable pour leurs territoires en matière d’accès aux services publics, d’enseignement, d’« e-santé », d’économies de transport, mais aussi d’emplois ; une récente étude publié par Mac Kinsey en mars 2011 ayant montré que grâce au numérique 700 000 emplois avaient pu être crées depuis 2000 qu’il y avait un potentiel de 450 000 autres emplois d’ici à 2015. (A quoi bon créer des espaces numériques de travail, ce qui est une excellente chose si les établissements en milieu rural ne sont pas raccordés ?)

Voilà à n’en pas douter un sujet emblématique de ce que devrait être notre politique régionale du développement durable. Mais plus étonnant est de constater que le projet axe –Seine , assorti du projet de réalisation de la ligne nouvelle ne soit guère mentionné qu’au détour d’une liste des objectifs du contrat régional de développement économique adopté le 16 mai dernier, alors que celui-ci devrait au contraire de part de l’ensemble des enjeux de développement durable qu’il présuppose, être la colonne dorsale d’une réflexion stratégique pour notre région. De la même manière, si le rapport p 17 reconnait les bienfaits du 276, que ce « processus de coopération est un gage d’efficacité de l’action publique à travers l’harmonisation des interventions et les économies qui en découlent », pourquoi ne pas aller franchement et carrément plus loin en travaillant à la préfiguration de la fusions des deux régions normandes?

Hors vous nous proposez dans ce rapport un inventaire à la Prévert, le talent du poète en moins, vous nous rappelez le cadre dans lequel les actions sont mises en œuvre, les principaux contrats et schémas (on les connaît) et concluez, bien que très critique à l’égard de l’Etat, en disant attendre les outils méthodologiques que fournira le gouvernement pour améliorer l’existant !

C’est une bien curieuse façon d’aborder le sujet. On le sait, confronter ses politiques aux enjeux du développement durable est une démarche exigeante. 

C’est pour cela que justement en temps de crise économique, il convient encore plus que jamais d’anticiper et d’agir. Pour ce faire nous partageons votre souci d’échanger régulièrement avec les collectivités de Haute Normandie, nous suggérons de rajouter celle de Basse Normandie. Peut être serait-il intéressant aussi dans le cadre de la coopération européenne évoquée p11 que  nous puissions aussi à l’aune des 7 défis européens, échanger avec notre région jumelle de Basse Saxe, on le sait nos voisins allemands étant plus avance sur les problématiques du développement durable.

Je vous remercie. »

Seul le prononcé fait foi

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