Séminaire GRAPH 2015 sur la Transparence

Veuillez trouver ci-dessous mon intervention conclusive au séminaire de recherche annuel du GRAPH, groupe de Recherche et d’Applications Hospitalières, qui s’est tenu cette année du 12 au 14 mars sur le thème de la transparence.

Elle s’intitule « A l’ère numérique, pour une éthique de la transparence ».

Bonne lecture !

 »  « A l’ère numérique, pour une éthique de la transparence »

Bonjour à toutes et à tous,

J’ai l’honneur de clôturer cette troisième table ronde intitulée « La Transparence, jusqu’où? ».

C’est le thème qui a animé vos différents débats ces deux derniers jours. Il est vrai que cette question est consubstantielle à nos sociétés démocratiques, et elle a pris une  encore plus grande acuité depuis ces derniers temps, liée à la révolution numérique, et la succession de révélations sur les excès de la diffusion démultipliée des informations. Nous sommes en effet rentrés dans un monde d’hyper-surveillance et de vulnérabilité; il faut en avoir conscience.

On ne rappellera jamais assez que le numérique est une révolution technologique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Innovation de rupture, Internet modifie en effet profondément la relation de l’Etre au monde. L’accès à la connaissance, notre manière de travailler, de communiquer, de commercer, de voyager … Tous les secteurs de l’activité humaine sont désormais concernés: transports, éducation, énergie, banque, défense, santé …

L’écosystème numérique, qui repose sur l’hyper-exposition des individus à travers les réseaux et la collecte des données, entraîne une profonde mutation des modes de fonctionnement de la société, ce qui représente un défi pour les pouvoirs publics.Il  remet en cause l’Etat-Nation et les institutions, renverse les modèles d’affaires, il se joue de l’impôt, il bouscule les règles de droit…

Mais le numérique offre bien sûr aussi d’immenses et nouvelles potentialités, et naturellement ici j’évoquerai plus particulièrement le domaine de la santé.

Depuis plusieurs années, j’ai le plaisir de remettre le Grand Prix annuel du Forum Netexplo, manifestation se tenant à l’UNESCO qui vise à récompenser les meilleures innovations numériques mondiales, tout en mettant en avant leurs caractéristiques et leurs effets sur notre environnement économique, culturel et social.  

Le lauréat 2015 dont on a beaucoup parlé dans la presse, le « Wearable Thermo-Element », est par exemple une innovation prenant la forme d’un sparadrap intégrable aux vêtements qui permet de transformer la chaleur de son corps en énergie pour recharger son smartphone ou autres appareils mobiles. 

En 2013, ce sont les tatouages électroniques qui ont  étonné: durables et souples , ils s’intègrent à la peau. Ils peuvent suivre et transmettre les signes vitaux, mais aussi traduire des petits mouvements musculaires en commandes d’appareils électroniques, tout en transmettant les données biologiques des patients en temps réel au laboratoire.

Comment ne pas s’enthousiasmer pour ces formidables innovations? 

Les défis sont multiples: la nécessité pour chaque acteur de santé de parvenir à travailler en commun lors du parcours de soins dans un système trop cloisonné, les « déserts médicaux », le vieillissement de la population, les nouveaux traitements personnalisés, le patient «augmenté » grâce aux objets connectés… Aujourd’hui, il est manifeste que ces défis devraient bénéficier de la révolution digitale.

Le numérique permet une optimisation potentielle tant qualitative qu’économique de l’ensemble des processus de soins et de prévention.

Cette mutation substantielle de notre système sanitaire se fonde tant sur les réseaux collaboratifs de chercheurs ou de cliniciens que sur le cloud computing permettant à chaque acteur de santé de disposer des informations sur son malade.

Si l’ensemble de ces nouvelles fonctionnalités et services innovants vont apporter aux patients une qualité et une sécurité des soins renforcées, notre vigilance ne peut totalement s’éteindre sur des questions fondamentales: celles de la collecte et du traitement des données personnelles, ainsi que du danger de la transparence absolue.

Plus que dans n’importe quel autre domaine se pose en effet la question éthique du respect de la dignité de la personne patiente.

En conséquence, questionner les enjeux de la mutation numérique, dans le domaine de la santé comme dans d’autres secteurs, ne peut tolérer l’économie d’une réflexion sérieuse sur le sujet de la vie privée à l’heure des mémoires numériques. 

La notion de vie privée constitue l’un des fondements de nos sociétés modernes et démocratiques. Elle est ainsi, dans une société démocratique, indissociable de l’existence de l’individu et de l’exercice des libertés. Or les avancées du numérique dans le domaine de la géolocalisation, de la biométrie, des objets connectés, des puces RFID, des logiciels de profilage statistique, etc…renforcent la nécessité de protéger cette notion de vie privée face à de telles techniques pouvant être ressenties comme intrusives par un certain nombre de nos concitoyens. L’affaire dite « Snowden » a démontré que la surveillance généralisée n’était pas une vaine menace et que la protection des libertés individuelles devait être un combat de tous les jours pour les pouvoirs publics comme pour les citoyens.

De fait, une prise de conscience personnelle et collective est essentielle en renforçant notamment l’éducation et l’information du citoyen, en labellisant les acteurs respectueux de bonnes pratiques en matière de confidentialité des données, enfin, à l’heure du « cloud » du, « big data » et des objets connectés, en promouvant, au plan international, la définition de standards mondiaux  dans le domaine de la protection des données.

Dans cette perspective, la future harmonisation des règles européennes en matière de protection des données est indispensable. Elle permettra de rétablir la confiance afin de définitivement lancer le développement de l’économie numérique.

A cet égard, je souligne la nécessité absolue de traiter ces questions au niveau européen, seul échelon pertinent. Mes deux récents rapports sénatoriaux sur la question ont démontré combien un gouvernance de l’internet ne pouvait être démocratique et équilibrée que si l’Union européenne pesait enfin de tout son poids dans les instances internationales compétentes.

La révolution numérique en cours aura, selon Michel Serres, des effets au moins aussi considérables qu’en leur temps l’invention de l’écriture puis celle de l’imprimerie. Les notions de temps et d’espace en sont totalement transformées. 

À cet égard, chaque grande rupture dans l’histoire de l’Humanité conduit à priver l’homme de facultés mais chaque révolution lui apporte de nouvelles possibilités. S’il perd une part de mémoire et de capacité mentale de traitement de l’information avec la diffusion généralisée des technologies numériques, l’homme gagne une possibilité nouvelle de mise en relation (d’individus, de groupes et de réseaux, de savoirs) mais aussi une faculté décuplée d’invention et de création. 

C’est probablement de ce côté que se trouvent les réponses aux enjeux contemporains de l’Humanité.

Je vous remercie de votre attention. »

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