Souveraineté Numérique : une indispensable régulation des plateformes

Le mercredi 7 octobre, la Commission des affaires européennes du Sénat, dont je suis membre, a présenté le rapport d’information que j’ai réalisé avec ma collègue Florence Blatrix-Contat, sur la proposition de règlement sur les marchés numériques, ou « DMA » (Digital Markets Act).

Cette présentation a abouti à la conclusion du dépôt d’une proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement sur les marchés numériques, consultable à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/leg/ppr21-033.html

Quelques éléments de contexte :

Le marché du numérique, omniprésent dans le quotidien de tous les secteurs d’activité et de loisir, est dominé par de très grandes plateformes, dont le modèle économique repose sur une accumulation de données, massivement exploitées par des algorithmes aussi puissants qu’opaques. Forts de cette position dominante sur le marché, ces grands acteurs privés extra-européens verrouillent pourtant le marché de l’Union.

L’absence totale de transparence sur leurs pratiques, en ce qui concerne les conditions de recueil et d’utilisation des données ou les modalités de classement des offres, permet à ces contrôleurs d’accès de renforcer toujours plus leur pouvoir de marché, rendant difficile, si ce n’est quasi-impossible, l’émergence de nouveaux acteurs. L’utilisateur est alors poussé à rester dans l’écosystème.

Les entreprises qui utilisent (ou entreprises utilisatrices) ces plateformes pour offrir leurs produits et leurs services se retrouvent dans une relation déséquilibrée car tenues de recourir aux applications de ces dernières ; d’autant que le droit de la concurrence actuel ne suffit pas à réguler efficacement ce marché.

La DMA : Une régulation des contrôleurs d’accès

La proposition de règlement sur les marchés numériques, ou « DMA », cible les grandes plateformes pour leur imposer d’emblée des obligations adaptées aux principaux services qu’elles offrent sur ce marché et va bien au-delà qu’une variation autour du droit de la concurrence : elle a pour objet de protéger un intérêt juridique différent, de garantir la contestabilité et l’équité du fonctionnement du marché intérieur numérique.

Le texte vise à rééquilibrer les relations entre les grandes plateformes et les entreprises utilisateurs et ce afin de favoriser l’innovation, la croissance et la compétitivité, et de faciliter le développement de plateformes de taille plus modeste, de petites et moyennes entreprises et de start-up.

Pour ce faire, il définit un ensemble d’obligations et d’interdictions spécifiques auxquelles seraient soumises les grandes plateformes en tant que « contrôleurs d’accès », sous la supervision de la Commission Européenne.

Seront ainsi encadrées les pratiques particulièrement nuisibles au bon fonctionnement du marché intérieur, notamment les modalités contractuelles que ces plateformes imposent aux entreprises utilisatrices.

Une résolution pour préciser, compléter et renforcer le dispositif

La cadre de régulation proposé apporte une première réponse aux pratiques déloyales les plus graves auxquelles il est urgent de porter un remède. Notre résolution propose de le préciser sur un certain nombre de points cruciaux.

I – Mieux prendre en compte les écosystèmes des plateformes pour désigner les contrôleurs d’accès en prenant notamment en compte les services secondaires (cloud, publicité en ligne, navigateurs et assistants vocaux). Une plateforme ne saurait être qualifiée de contrôleur d’accès si elle ne propose pas au moins deux services essentiels ou un service essentiel et un service secondaire.

II – Préciser les modalités de calcul des seuils permettant une qualification de plein droit de contrôleur d’accès

III – Revoir les délais de déclaration et de mise en conformité pour une application rapide du règlement, plus précisément réduire de trois à un mois le délai de déclaration de l’atteinte des seuils par les fournisseurs de services de plateformes essentiels et l’assortir d’une sanction en cas de retard ou d’absence de déclaration.

IV – Préciser les obligations des contrôleurs d’accès, à savoir :

  • Renforcer la portée effective de l’interdiction d’utiliser les données sans le consentement préalable de l’utilisateur en interdisant au contrôleur d’accès de proposer une offre dégradée en cas de refus de consentement et en prohibant expressément le recours à des subterfuges (dark patterns) pour recueillir ces données ;
  • Etendre l’interdiction des clauses de parité aux services commerciaux hors ligne proposés par les entreprises utilisatrices ;
  • Etendre à tous les services accessoires et en particulier les services de paiement l’interdiction faite au contrôleur d’accès d’obliger les entreprises utilisatrices à recourir à ses services accessoires ;
  • Garantir la liberté de choix des applications logicielles par l’utilisateur, en précisant que la désinstallation de toute application logicielle préinstallée dans un service de plateforme essentiel doit être techniquement facile ;
  • Étendre le champ de la prohibition de l’autopréférence à toute technique permettant d’influencer les utilisateurs finaux pour les diriger prioritairement vers les services ou produits du contrôleur d’accès ou d’une entreprise liée à celui-ci ;
  • Renforcer les droits à la portabilité des données en prévoyant que l’accès doit être techniquement simple et que les informations nécessaires pour leur mise en œuvre doivent être disponibles à tout moment ;
  • Prévoir la nullité de plein droit des clauses contraires aux interdictions et prescriptions du règlement ;
  • Renforcer les dispositions anti-contournement pour interdire tout comportement qui aurait en pratique le même objet ou un effet équivalent à celui des pratiques prohibées par le règlement.

Une régulation devant associer les autorités nationales et les entreprises utilisatrices

La fonction de régulateur serait confiée à la Commission dans la mesure où il s’agit de veiller au bon fonctionnement du marché intérieur numérique. Ses moyens étant limités et les autorités nationales de régulation ayant des compétences techniques et une connaissance précise du terrain, des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, il apparaît indispensable de compléter le dispositif prévu.

  • En renforçant les moyens humains et techniques de la Commission ;
  • En prévoyant que des mesures provisoires soient prononcées lorsque le comportement d’un contrôleur d’accès est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate à l’intérêt d’une entreprise utilisatrice ou d’utilisateurs finaux ;
  • En associant les autorités nationales sectorielles et les États membres à la régulation des contrôleurs d’accès ;
  • En créant un réseau européen de la régulation numérique ;
  • En associant les entreprises utilisatrices à la définition des remèdes, notamment avec la mise en place de guichets nationaux de dépôt de signalements et d’une procédure de transmission à la Commission ;
  • En prévoyant l’information des autorités nationales de concurrence lors du contrôle préalable des acquisitions

Pour limiter le renforcement du pouvoir de marché des contrôleurs d’accès et les empêcher de racheter des entreprises innovantes afin de tuer leur potentiel de concurrence (killer acquisitions), il est prévu que les seuils d’application du contrôle des concentrations d’entreprises définis par le règlement (CE) 139/2004 ne seraient pas applicables aux marchés numériques.

Afin de garantir une bonne coordination des procédures de contrôle des concentrations, il convient d’ajouter que lorsqu’un contrôleur d’accès notifie un projet d’acquisition à la Commission, celle-ci en informe la ou les autorités nationales de concurrence compétentes.

Conclusion 

Avec un DMA précisé, renforcé et complété, la régulation des marchés numériques pourra franchir une première étape fondamentale, inédite au niveau mondial, au moment où d’autres grands marchés réfléchissent à la mise en place d’une régulation des grandes plateformes numériques.

Une adoption rapide en début d’année 2022 est donc hautement souhaitable et paraît envisageable en l’état des discussions en cours, tant au Parlement européen qu’au Conseil.

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