TVA Presse en ligne – Débat public

Au cours de sa séance du 17 février 2014, notre Haute assemblée a examiné la proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.

Le Sénat a adopté ce texte, à l’unanimité et sans modification, le votant ainsi définitivement, et la rendant applicable au 1er février 2014.

Retrouvez ci-après mon intervention prononcée hier après-midi dans l’Hémicycle :

Monsieur le Président,

Madame le Ministre,

Mes chers collègues

Le numérique ébranle toute l’économie traditionnelle en renversant les modèles d’affaires existants. Peu de secteurs échappent aujourd’hui à ces bouleversements : les télécommunications, la banque, la grande distribution, les livres, la musique, la vidéo, les jeux vidéo, la photo, mais aussi l’éducation, le tourisme, l’agriculture, la défense, voire l’automobile, et bien évidemment les médias et la presse, sujets qui nous occupent aujourd’hui.

Désormais, au moins 73% des ménages sont connectés à Internet dans l’Union européenne. Les cinq plus grands pays européens, dont la France, comptent 104,4 millions d’utilisateurs de smartphones.

Connectés partout et à toute heure, les européens consomment de plus en plus de services en lignes, ainsi-que de multiples contenus, et notamment l’information.

Il y a clairement à l’heure actuelle un phénomène de substitution à l’œuvre. Les lecteurs de la presse écrite optent de plus en plus fréquemment pour les supports numériques.

Pour les nouveaux lecteurs, la question ne se pose même plus à l’heure, où le JDD est meilleur marché par voie de téléchargement que sous sa forme papier classique. Les écrans et les tablettes sont désormais partout : des rédactions aux salons. Cette nouvelle donne nous invite à des adaptations pour faciliter l’émergence de nouveaux modèles économiques, ce qui est une ambition de  l’agenda numérique 2020.

S’agissant du  taux de TVA en ligne, notons que la directive européenne de 2006 qui fixe les matières sur lesquelles peuvent s’appliquer le taux exceptionnel de 2,1% reconnaît à la presse son caractère nécessaire à la bonne santé de nos sociétés démocratiques. Nous sommes bien entendu d’accord avec cet objectif. Ce taux préférentiel de TVA à par ailleurs vocation à aider à la transition numérique de la presse, sans condamner pour autant la presse écrite.

Le droit européen en la matière a rigidifié la situation existante en 1991. Il y a 20 ans, la presse écrite recouvrait presque l’ensemble de la presse. Aussi, le caractère exceptionnel du taux réduit ne saurait être lié au seul support papier. C’est une lecture dépassée des choses compte tenu des mutations technologiques. C’est le contenu –soit l’information- et la transmission de cette information qui comptent.

Continuer à appliquer à la presse numérique une TVA dix fois plus élevée relève donc du non sens. J’ai toujours défendu le principe de la neutralité du support et, en cohérence, j’ai depuis trois ans, lors des discussions budgétaires, proposé l’adoption d’un amendement permettant d’étendre le champ d’application de ce taux de TVA.

Curieusement, Monsieur le Rapporteur votre majorité qui défend cette disposition aujourd’hui ne l’a jamais voté.

Le Groupe UDI UC lui, sera cohérent avec lui même  en votant ce texte, cette proposition de loi étant la reprise in extenso de ses travaux, reprise également de l’une des 30 préconisations de mon rapport « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? » rendu en mars dernier au nom de notre commission des affaires européennes.

Je souhaiterais néanmoins, Madame la Ministre, Monsieur le rapporteur, vous alerter sur le caractère limité d’un tel dispositif sans une vue d’ensemble sur la question du numérique. Aligner la fiscalité de la presse numérique sur la presse écrite est une mesure de bon sens, mais dans un cadre aussi limité et strictement national, cela ne restera qu’un expédient.

Tout comme l’accord dit « Google-presse », qui est malheureusement relativement symptomatique de la manière qu’a ce gouvernement d’aborder la question des mutations que nous connaissons :  on s’est contenté et félicité d’une obole de 60 millions d’euros pour la presse , sans que la réalité des problèmes posés ne soit traitée et surtout sans que la somme dégagée par le géant américain ait été repartie auprès des éditeurs de presse de manière claire et transparente .

Envoyer un signal européen est une chose. Mais faut-il pour cela prendre une instruction fiscale, puis la faire valider par la loi avant son annulation, car contraire au droit européen? Ce signal, compte-tenu du droit européen actuel, ne pourra ignorer une prise de position claire et déterminée avec nos partenaires européens.

L’échelon national n’est en effet assurément pas l’échelon pertinent pour appréhender la révolution numérique et ses nombreux défis, défi culturel, défi économique et industriel, défi fiscal, défi juridique. Seule l’Union européenne a la masse critique pour peser dans le cyberespace. Au cœur de la problématique un nouvel écosystème qui s’est construit et se développe très rapidement à l’insu des acteurs traditionnels, de nouveaux entrants dans la chaine de valeurs, développeurs de services de plus en plus incontournables. Dans la ligne de mire, on le sait, Google qui diffuse pour exemple sur son site une sélection considérable d’articles de presse mais ne s’acquitte d’aucun impôt ou presque  et ne reverse rien aux éditeurs de presse.

Certes nous avons été fer de lance sur la question de l’exception culturelle mais il faut aller beaucoup plus loin.

Face à ce qui se joue, il faut trouver des alliés pour peser efficacement sur la commission européenne maintenir la pression pour qu’au nom de la diversité culturelle elle propose d’appliquer au livre et à la presse en ligne un taux de TVA au moins aussi bas que celui appliqué à ces biens culturels dans le monde physique mais plus largement pour qu’elle prévoie d’inclure l’objectif de diversité culturelle dans la réglementation des services puisque les biens culturels à l’ère du numérique prennent la forme de service en ligne.

Le Syndicat de la presse Quotidienne Nationale confirme qu’il s’agit d’une problématique européenne partagée avec les éditeurs de presse allemands, belges, italiens, portugais, réunis dans plusieurs associations européennes : l’ENPA pour la presse quotidienne et l’EMNA pour la presse magazine.

De la même manière il faut exiger le respect absolu par tous les états membres du calendrier européen en matière de changement de lieu d’imposition de la TVA  pour les services en ligne afin de reterritorialiser la perception de la TVA sur le lieu de consommation de ces services.

Par ailleurs en application du code de conduite que les états membres se sont fixés, il faut exercer une pression conjointe des grands états membres victimes de l’optimisation fiscale des multinationales du numérique sur les états membres complices de cette situation.

Enfin il faut peser pour faire avancer la révision internationale du modèle OCDE de convention fiscale qui permettra d’imposer les multinationales de l’économie numérique en proportion de leur activité sur le territoire où résident leur utilisateurs.

Au-delà de l’aspect fiscal, il faudrait également  imposer des obligations d’équité et de non discrimination à certains acteurs  de l’internet comme « Google  » devenus des « facilités essentielles », parce qu’elles ont acquis une position dominante, durable et que nombre d’activités économiques  deviennent impossibles  sans recourir à elles. Un sujet de préoccupation doit aussi mériter la plus grande  vigilance de la part des autorités européennes de la concurrence : la neutralité des terminaux, alors que se développent des systèmes éco-propriétaires. Je pense au modèle Apple. J’ai eu des témoignages de la part du syndicat national de l’Edition de cas de censure : Apple refusant de commercialiser certains livres numériques. Ce phénomène d’intermédiation obligatoire conjugué à la concentration inhérente à l’économie numérique est extrêmement préoccupant.Il en va du pluralisme de la presse.

Ainsi on le voit, le présent texte répond donc à une situation spécifique mais pas au-delà. Nous n’avons pas à l’échelon national d’outil juridique pour appréhender les problèmes de TVA posés par le développement du numérique. Le marché unique numérique est une belle ambition pour autant que nous en restions acteurs.

Cela nécessite assurément de replacer cette question de l’accès à l’information dans une réflexion d’envergure sur la fiscalité sur le territoire de l’Union européenne et de débattre surtout de notre stratégie globale face aux enjeux multiples engendrés par cette mutation d’ampleur.  

Reste enfin à dire que nous regrettons que la présente proposition soit déconnectée d’une démarche plus globale et plus approfondie en faveur de la presse

Alors que le gouvernement a considérablement baissé les crédits, la question du portage est aussi un sujet de préoccupation ces derniers temps. Un sujet qu’évoque régulièrement notre presse quotidienne régionale.

Nous souhaiterions à cet égard connaitre l’avancée de cette fameuse réforme des aides à la presse que le gouvernement annonce depuis des mois.

Pourquoi ne pas nous avoir proposé un texte complet dans lequel la proposition d’aujourd’hui aurait été inscrite et qui du coup aurait traduit d’une vraie réflexion de fond sur une industrie que nous jugeons comme essentielle ?

Nous  ne  pouvons hélas  que déplorer, Madame la Ministre, le retard pris ces deux dernières années, alors que l’économie de la création est menacée.

Je vous remercie de votre attention.

(Seul le prononcé fait foi)

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