Vote par le Sénat du Projet de loi relatif au renseignement

Le Sénat a achevé cet après-midi ses débats autour du Projet de loi relatif au renseignement et, par 251 voix contre 68, ce texte a été adopté.

Je déplore que, bien que touchant à ce qui résonne profondément en tout parlementaire républicain conscient de ses devoirs – préserver les intérêts et la sécurité de la France et des Français dans le strict respect de nos principes démocratiques -, tout et n’importe quoi a été dit sur ce projet de loi sur le renseignement.

Le gouvernement n’a eu de cesse de laisser de prêcher des contre-vérités, qui ont su trouver un confortable terreau : celui du manque de culture, pour ne pas dire ignorance, des élus et des citoyens de ce qui conditionne aujourd’hui nombre de rapports de force géostratégiques : Internet.

Les révélations d’Edward Snowden, l’émergence et l’épanouissement de réseaux criminels redoutables ainsi que les nombreuses attaques menées sur les réseaux ont mis en lumière les nouveaux défis auxquels sont confrontés les États, les acteurs économiques et les citoyens eux-mêmes, pour préserver leur souveraineté numérique.

Les débats à l’Assemblée et ici au Sénat auront donc eu au moins cette vertu, comme j’avais souhaité le faire avec mes deux rapports sur la question en 2013 et 2014, que de mettre en évidence le manque de culture technologique et le retard de notre pays sur les questions de surveillance de masse, de sécurisation des réseaux et de nos infrastructures et sur celle de la maîtrise de notre destin numérique. Et ils auront mis en exergue la nécessaire maîtrise que devront acquérir les responsables politiques surtout ceux « faiseurs de loi » en matière de numérique. En l’espace de quelques années, Internet est en effet devenu l’épine dorsale de nos sociétés ainsi qu’un levier majeur de transformation économique, sociale et culturelle …

Quoi qu’il en soit, alors que les parlementaires américains viennent de voter un texte réduisant pour la première fois depuis le 11-Septembre les marges de manœuvre des services de renseignement, je regrette l’adoption par la France d’un texte permettant notamment l’installation sur les réseaux Internet nationaux d’algorithmes analysant les métadonnées.

Le premier ministre nous a assurés durant la discussion générale que le projet de loi « n’exerçait pas de surveillance de masse des Français ». Le ministre de la Défense de même : « Le texte n’autorise que de la surveillance ciblée, pas de surveillance de masse ».

Des métadonnées qui ne sont en rien anonymes ou « ciblées ». Elles ne sont en rien un sous-produit « techniques », mais sont devenues plus révélatrices du comportement des usagers que le contenu de leurs courriers électronique !

Par ailleurs, concernant les fameuses « boîtes noires » : S’il n’y aura en principe, et ce contrairement aux États-Unis, pas de stockage de grande ampleur, l’analyse portera bien sur l’intégralité des données, contrairement aux États-Unis !

De plus, si le Patriot Act reste vivant sous certaines de ses dispositions, la justice américaine a bien jugé illégale la section permettant la collecte de l’intégralité des métadonnées téléphoniques des citoyens Américains, automatiquement transmises à la NSA.

Aussi, les allégations du ministre de la défense affirmant que l’adoption récente par le Parlement américain du Freedom Act « ne changerait pas grand-chose » sont absolument inexactes.

Ce n’est pas pour rien si tant d’institutions expertes et qualifiées, comme le Conseil National du Numérique, la CNIL, l’INRIA, les Barreaux et le Conseil national des Droits de l’Homme nous alertent quant aux graves risques d’abus de dispositifs par nature intrusifs. Le rapporteur au Conseil d’État lui-même, suite à une question prioritaire de constitutionnalité, a recommandé la semaine dernière à son institution de saisir le Conseil constitutionnel !

Face à ces faits incontestables, on se demande donc quels arguments motivent le gouvernement pour promouvoir avec obstination des outils de surveillance de masse dont tous les spécialistes démontrent qu’ils sont inefficaces. Est-ce par ignorance ? Est-ce par conviction presque cynique que la « fin justifie les moyens » ? Qu’il l’assume publiquement si tel est le cas, mais qu’il cesse d’affirmer que la collecte sera discriminante et maîtrisée …

Enfin, un argument a été diffusé largement selon lequel les services Français n’ont ni les moyens humains, ni les moyens matériels ou financiers de procéder dans les faits à une telle surveillance généralisée.

Mais en tant que législateur, je ne peux m’en contenter. Nous votons la loi pour l’avenir, pour définir les règles qui permettront, quelles que soient les contingences politiques, sociales ou économiques, de préserver un socle de principes élémentaires. La recherche de l’équilibre entre droit à la sécurité et respect des libertés individuelles doit donc être notre unique horizon.

Je ne doute pas de l’impérieux attachement du Président de la République et de l’ensemble du gouvernement à notre système démocratique et à ses valeurs. Mais peut-on imaginer la dangerosité d’un dispositif législatif carencé en termes de contrôle et de garde-fous dans les mains d’un autocrate ?

J’estime que notre devoir est de légiférer avec conscience et gravité, pas simplement parier sur le défaut de moyens en pratique et à un instant T de nos services de renseignement.

Aussi, considérant que les dispositifs de « boîtes noires » ont été maintenus et qu’aucun contrôle des fichiers constitués par la CNIL n’a été introduit, j’ai voté CONTRE ce texte comme un certain nombre de mes collègues.

Il faut se rappeler les récentes attaques terroristes de janvier, qui avaient pour but de nous faire renoncer à nos valeurs et notamment à notre liberté d’expression …

Et bien la surveillance de masse a aussi pour conséquence l’établissement de nouvelles formes d’autocensures. Cela a été démontré en Chine, en Turquie et plus récemment aux États-Unis. Et les conséquences de cette autocensure diffuse et généralisée correspondent à un appauvrissement du débat dans les sociétés démocratiques auxquels viennent s’ajouter des effets économiques encore imprévisibles sur le développement et la diffusion des innovations. Ce que le créateur du Web, Tim Berners-Lee nomme « Les insidieux effets de refroidissement de la surveillance sur Internet … ».

Je regrette que nous nous laissions à légiférer par peur et par ignorance …

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